jeudi 31 octobre 2013

L’Andalousie, ou un avant-goût d’Orient

(sous titre : Les écrivains français du XIXème siècle et le voyage en Espagne)


« Chaque homme a une patrie d’adoption, un pays rêvé où, même avant de l’avoir vu, sa fantaisie se promène de préférence, où il bâtit des châteaux imaginaires qu’il peuple de figures à sa guise; nous c’est en Espagne que nous avons toujours élevé ces châteaux fantastiques ».      (Théophile Gautier, Quand on voyage, Michel-Lévy, Paris, 1865, p. 245)


Les romantiques français firent de l’Espagne, et surtout de l’Andalousie, une destination touristique exotique, une expérience de dépaysement, et de pittoresque. Ils élaborèrent une image fascinante de l’Espagne, une Espagne plus mythique que réelle, mirage qui aimanta toute la jeunesse du XIXème.


Les éclaireurs de ce phénomène collectif :

Théophile Gautier, Prosper Mérimée, Alexandre Dumas créèrent un modèle de pérégrination hispanique, et surtout andalouse. Ce modèle fut repris au pied de la lettre et conduisit invariablement la foule des épigones vers Grenade, Cordoue et Séville. Cela se fit souvent au détriment d’autres localités dédaignées comme secondaires car dépourvues de l’anoblissement par le regard des grands maîtres-à-voyager romantiques !

Il faudrait lire avant de partir le très beau Tras los montes de Théophile Gautier (devenu Le Voyage en Espagne , 1843), et lire aussi d’Alexandre Dumas, les  Impressions de voyage : De Paris à Cadix (1847). Sans oublier les Lettres d’Espagne (1832) de Prosper Mérimée.


Aux origines de ce phénomène collectif : une vague de visiteurs forcés !

Un tourisme spécial, militaire, un peu forcé, précéda l’engouement romantique et le prépara. La campagne napoléonienne de 1808-1810 en Espagne produisit des témoignages émerveillés de la part des militaires… Leurs mémoires de guerre eurent beaucoup de succès… N’oublions pas que le père de Victor Hugo participa aussi à cette campagne, et y emmena sa famille...

L’échec du rêve napoléonien est ensuite sans doute pour beaucoup dans ce rêve de « construire des châteaux en Espagne » pour compenser la déception et la frustration devant une monarchie restaurée. Il faudrait relire quelques pages de La Confession d’un enfant du siècle de Musset pour plonger dans le désenchantement qui sert de base à ce si fort désir d’Espagne.  Celle-ci apparaissait comme l’opposée de la société française bourgeoise contre laquelle toute une jeunesse romantique se révoltait. Le sentiment d’étouffer dans Paris faisait que le voyage en Espagne était devenu une sorte d’urgence.


La couleur locale :

Louis Viardot, dans ses Souvenirs de chasse (1823) lance la mode du voyage en Espagne à la recherche de la fameuse « couleur locale ». Il entérine aussi l’image langoureuse de femmes espagnoles qui semblent sortir des contes des Mille et une nuits. Le lien est ainsi  noué avec l’orientalisme qui fait fureur à la même époque. Une autre variante de la femme espagnole, une Sévillane,  Carmen (Mérimée, 1845), nourrira un autre mythe, mais tout aussi imprégné de cette couleur locale si chère aux romantiques.


Les lieux communs : un pays qui se doit d’être exotique et arriéré…

L’observation directe, la découverte personnelle et originale, tout au long du XIXème, semblent de peu de poids par rapport aux clichés et lieux communs qui conditionnent le regard des voyageurs… Plus le siècle  avance  et plus les évocations des villes et des paysages andalous se répondent en écho dans le récit des visiteurs. Les aprioris établis vont se maintenir, écartant l’observation directe. Itinéraires et idées reçues se conserveront même avec le développement de nouveaux moyens de voyage, le chemin de fer notamment : Séville et sa rue Sierpes,  Grenade avec l’Alhambra et le Sacromonte,  Cordoue et sa mosquée sont les leitmotive qui reviennent sous la plume des visiteurs, les cactus et les aloés sont omniprésents, et le poncif du caractère africain du sud de l’Espagne s’impose. Le voyageur se livre au plaisir du déjà su –déjà lu qui s’affirme plus fortement que la réalité même…  Mais pas toujours, et le regard s’assombrit quand la « réalité » recherchée ne se montre pas, quand elle ne se prête pas comme support commode à la projection des images fantasmées et ressassées collectivement depuis le début du siècle...


Une rencontre manquée ?

L’espagnolisme romantique français est critiqué, notamment par les Espagnols, pour sa recherche du clinquant, masquant les réalités profondes du pays. L’agacement ne se dissimule pas outre-Pyrénées devant une image du psychisme espagnol, image fortement stéréotypée que les romantiques français ont contribué à figer en une mythologie de carte postale : mari jaloux, hidalgo superbe et vaniteux,   gueux non moins orgueilleux, paresse, apathie ou “gravité” castillanes !

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