jeudi 27 février 2014

Camaron y Paco de Lucia por Bulerias.m4v

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"El dúo Paco-Camarón fue una fulguración, un momento fundacional para la historia moderna del flamenco y un hito sureño para la música popular contemporánea. Era 1969, el año en que el hombre llegó a la Luna. De repente, dos jóvenes paupérrimos y semianalfabetos, hijos de la España aniquilada, resucitaron el arte que Falla y Lorca habían dado a conocer al mundo durante la Edad de Plata. " Lu dans El País, le lendemain de la mort de Paco de Lucía.

Paco c'est la redécouverte du flamenco par le public et les artistes du monde entier après la parenthèse noire du franquisme qui avait cherché à instrumentaliser toros et castagnettes.

Paco c'est la world music du "frigo vide", de la "nevera vacía": le flamenco y côtoie le jazz et la bossa. Il est un des précurseurs de la musique mondialisée des années 90, quand les Jamaïcains enregistrent avec des Russes ou des Japonais. On sait le succès immense de son sextet dans les années 80.

Ce que vous avez vu à Séville lundi soir, vous ne l'auriez jamais vu s'il n'y avait pas eu Paco. Mais aussi Antonio et Cristina bien sûr.




mercredi 26 février 2014

De Don Juan à Luke Skywalker

Sixième et dernier jour, le lundi 17 février, il y a un peu plus d'une semaine. Le jour se lève, un soleil voilé nous attend. Quelle sera l'attitude des étudiants après une soirée qui s'est un peu prolongée, histoire de refaire encore le monde devant l'hôtel au retour du Luisiana ou de courir s'acheter un paquet de gâteaux pour les éternels affamés. Tout va bien, ils arrivent d'un pas tranquille mais assuré pour se régaler une dernière fois de chocolate con churros. Nous retrouvons Teo et laissons valises et paniers-repas du soir dans le car. A 9H15 nous sommes fins prêts pour notre dernière promenade littéraire consacrée à Don Juan.


- Une promenade qui a failli ne pas se faire, les doutes, le stress, la nécessité d'adapter en fonction des réactions du groupe et de choisir le moment toujours opportun. Mais non, finalement, nous y avons cru et tout se déroulera le mieux du monde. Du démarrage sur la Plaza de los Refinadores, devant la statue érigée à Tenorio en 1975 jusqu'à la Plaza de los Venerables devant la Hostería del Laurel où José Zorrilla aurait écrit son drame romantico-sentimental, contribuant d'une certaine façon à l'implosion de la structure mythique, nous allons de place en place et de statue en statue (avec un soupçon de portes!), avec l'aide précieuse de M. Müller qui joue les éclaireurs pour que nous ne perdions pas trop de temps. Le thème est à la fois plutôt connu des étudiants, tous ont lu le Dom Juan de Molière mais tous ne suivent pas mon cours de littérature qui explore le mythe et traite de son évolution entre la version baroque de Tirso de Molina (1620-1630) et la version romantique de Zorrilla (1844). Je les mets d'ailleurs tout de suite en garde contre la complexité de l'approche qui va nous conduire à passer d'une oeuvre à l'autre. Qu'à cela ne tienne, les regards sont plutôt concentrés et enclins à suivre le raisonnement. Nous cheminerons ainsi dans le quartier de Santa Cruz et le Centre à la recherche des lieux mentionnés dans les deux œuvres ou des personnages fictifs ou bien réels, sans oublier d'évoquer la question cruciale de la récupération du mythe et surtout de la version de Zorrilla à des fins de marketing touristique. Car comment comprendre autrement la présence de statues ou de plaques souvent très récentes qui visent à rappeler l'ancrage sévillan de ces œuvres et que, tout compte fait, Don Juan ne pouvait être que de Séville. DJ, le Burlador ou le Tenorio, DJ et le galant des romances, DJ et les nonnes, DJ et la ville, DJ et le théâtre, DJ et la nourriture... J'essaye de synthétiser au mieux et de renvoyer sans cesse à deux thématiques qui me semblent essentielles dans la perspective de leurs concours: les rapports entre fiction et réalité, Séville comme espace théâtral.



- Après une halte sur les marches devant l'Hospital de la Caridad financé par Miguel de Mañara, vrai faux Don Juan dont l'existence va fasciner à ce point les romantiques européens qu'ils vont trouver en lui un motif d'inspiration qui contribuera à rénover mais aussi à compromettre le mythe, ce sont d'autres marches qui vont nous accueillir, cette fois devant El Archivo de Indias, pour un très bon exposé de Sellis sur Séville au Siècle d'Or dans lequel il revient sur le rôle prépondérant de la cité dans le commerce avec le Nouveau Monde mais aussi sur les retombées de ce monopole qui en font la capitale du Sud, populeuse, exubérante, créative, aux antipodes de l'austère Madrid, capitale désignée en 1561 par Philippe II. Nous comprenons mieux maintenant pourquoi DJ ne peut être que de Séville.


- 13H, il est temps de finir la promenade thématique même si je voulais pousser jusqu'au monument à Colomb, histoire de rappeler que le Burlador, antihéros par excellence, naît à une époque où l'Espagne ne fabrique plus de héros nationaux. 
- Après une pause nécessaire que certains ont utilisée pour se restaurer, d'autres pour courir accrocher des cadenas sur le Puente Triana (!), nous voilà repartis pour notre dernière activité ludique du séjour, un grand jeu de pistes par groupes interfilières dans le Parc María Luisa qui a toujours eu cette allure un peu fantomatique comme tous ces lieux créés de toutes pièces pour un événement donné (exposition ibéro-américaine de 1929) et qui ensuite survit à grand peine. Le groupe a noué des liens plus étroits qu'on ne le pense, du coup nous restons tous plus ou moins ensemble, nous avons du mal à nous séparer en sous-groupes et à instaurer un vrai climat de compétition. Des questions sur les grands hommes en façade du Palais San Telmo, des questions sur la Découverte, des consignes pour l'élaboration express de mini-exposés sur le Pérou (clin d'oeil à notre ami assistant de l'année), pour l'observation attentive de la Glorieta a Bécquer puis des bancs de la Plaza de España, M. Müller est partout, court devant, motive les troupes, écoute et note les prestations des uns et des autres tandis que M. Darier me fait noter que cette Place où nous allons faire notre dernier bilan a servi de décor à un épisode de .... La Guerre des Etoiles. Nous rappelons aux étudiants que le but du jeu était aussi de tester leur capacité à travailler en groupe de façon urgente, leur réactivité et créativité. C'est le groupe C composé de Sellis, Bastien, Julia, Sabrina, Chloé L. et Salomé qui arrive en tête: connaissances, esprit de synthèse, clarté du plan pour l'exposé, don d'observation (une mention spéciale pour Salomé qui a tout vu et tout entendu!), rapidité d'exécution... Ils y ont cru!

- Il est temps de nous asseoir pour commencer à corriger les livrets, pour faire un bilan de ces six jours intenses. C'est à la jeune Chloé B., qui aura rejoint le groupe au pied levé, de conclure par une réflexion engagée sur une possible identité andalouse. Cette élève volontaire et dynamique jusqu'au bout nous présente le fruit des échanges qu'elle a pu avoir avec des Andalous rencontrés ces derniers jours et nous livre ses propres impressions complétées de façon très spontanée et émouvante par d'autres étudiants qui dressent un bilan plus que positif du séjour. Beaucoup ne veulent pas rentrer, ce qui est plutôt bon signe.


- La fin de la journée va défiler comme dans un rêve: les mots de la fin dans le car qui nous conduit à San Pablo, les chants de remerciement des élèves, le klaxon de Teo qui nous dit adieu, le temps qui s'étire à l'aéroport: une dernière carte expédiée d'Espagne par Malika, des regards fatigués mais contents, un peu de retard au décollage et un atterrissage un peu sec mais les parents sont tous là, notre groupe se disperse, rendez-vous début mars!






lundi 24 février 2014

No se puede explicar!



Alors là je dis bravo!
C'est vraiment ce dimanche 16 février que mon groupe a eu droit à toute mon admiration, je suis épatée! Les raisons, les voici:
- Première raison: malgré une soirée un peu prolongée pour certains, tout le monde est à l'heure et a relevé le défi de se lever avant 7H pour un petit-déjeuner express et un départ à 7H45 alors qu'il a plu toute la nuit et que le jour se lève à peine sur une ville grise et brumeuse. Je l'avoue maintenant, je monte à l'Alhambra à reculons, quelle idée de partir si tôt, je crains la lassitude des étudiants. Dans le car, je trouve un appui précieux, mon bon vieux Théophile Gautier et sa description élogieuse des Grenadins, peu préoccupés par les honneurs et la gloire, bien mieux chez eux, à l'abri de leur carmen, que lancés dans le vaste monde. Son évocation du ciel toujours bleu déchaîne l'hilarité derrière moi.
- Deuxième raison: la visite magique de l'Alhambra et du Generalife commentés de main de maître par M. Darier, malgré la meute de gardiens qui nous poursuit pour que nous ne parlions pas, dans certaines salles du moins: "Ya le dijimos que no se puede explicar!". Mon collègue tient bon et poursuit fermement son programme ambitieux: découvrir l'ensemble du domaine en six heures, ce que nous ferons en passant par les murailles et jardins, le rond dans le carré du Palais inhabité de Charles Quint, les différentes salles de l'Alhambra dont celle du calife qui retient un long moment notre attention, les bassins du Generalife et puis le très gracieux escalier de l'eau où nous nous amusons un peu... Nous grelottons, le froid s'immisce par les pieds et les jambes mais nous tenons bon, nous y croyons. Nous sommes de plus en plus à l'aise avec le lexique architectural que M. Darier nous fait reprendre depuis mercredi: arcs polylobés, coupole en media naranja, plafond artesonado, stuc et écriture "C"oufique... La partie habitée par Charles Quint intéresse moins que les toilettes du calife! On aime aussi la description du vase de l'Alhambra par Gautier qu'il décrit placé dans un "recoin ignoble". 



- Troisième raison: deux excellents exposés dans l'Alhambra. Julia échappe miraculeusement aux contrôles et nous présente l'oeuvre d'Irving dans le patio de Comares. Elle est parfaitement à l'aise aussi bien dans la présentation que dans la lecture en anglais d'un court passage des Contes qu'elle commente ensuite, en nous rappelant que l'Alhambra était habité par tout un menu peuple et par ces artistes ou écrivains voyageurs qui plaçaient leur matelas où ils voulaient pour mieux s'imprégner des lieux. 




Bastien profite d'une pause dans une alcôve dont la fenêtre ouverte donne sur le Sacromonte pour présenter son travail sur les Gitans: on perçoit à ses commentaires qu'il est lui-même un très bon guitariste. VOIR DOCUMENT SUR PAGE ANNEXE.


- Quatrième raison: tout le monde est au rendez-vous de 13H30 pour monter à la forteresse. Mon petit monde m'impressionne, je pensais qu'ils en avaient assez des vieilles pierres. Non, nous montons admirer la vue sur la cité, sur la sierra en différents points de cet espace fortifié admirablement conservé. Je les abandonne un moment pour fouiller de nouvelles pages à lire dans mon Gautier mais je ne trouve rien de bien original. Je me rabats donc sur Le Soupir du More dans España ("Fondez, mes yeux, fondez en larmes!") que les étudiants écoutent avec attention et émotion. Nous-mêmes allons dire adieu à Grenade dans quelques instants.


- Cinquième raison: la journée n'est pas finie, loin de là. Départ à 16H pour Séville, nous avons plus de trois heures d'autoroute à faire, juste le temps de retrouver le soleil en route, de terminer au pas de course notre exposé sur le Mythe de Grenade dans la poésie de Lorca puis d'écouter ce dernier accompagnant La Argentinita dans El Café de Chinitas. Amir et Chloé G. nous présentent deux exposés de civi de très bon niveau sur des problématiques très actuelles: les relations entre l'Etat espagnol et les communautés religieuses que sont les juifs et les musulmans pour l'un, les revendications d'AQMI concernant l'Andalousie et Cordoue en particulier pour l'autre. VOIR DOCUMENTS SUR PAGE ANNEXE.


- Sixième et dernière raison: la soirée étudiante organisée avec maestria par Julia, notre bonne fée, assistée de Bastien, discret mais efficace. Et pourtant, ce n'était pas gagné: j'avais eu du mal à engager la discussion collective sur ce point, certains voulaient danser, d'autres penchaient pour une soirée basée sur des impros. Avant de prendre le car, nous commencions à nous dire que nous allions passer la soirée à l'hôtel. C'était sans compter l'entrain de nos deux jeunes organisateurs qui vont recueillir les conseils de notre hôtelier, vont courir réserver, rien que pour nous, un superbe bar de copas, à quelques pas de l'hôtel et motiver la troupe pour que nous y soyons à l'heure, sur notre 31.


Le reste est facile à imaginer, une magnifique fiesta: musique choisie par le barman pour nous, un peu d'alcool pour certains mais surtout beaucoup de bonne humeur. la fatigue s'est envolée et nous retrouvons nos forces pour gambader et sautiller. Olé!



dimanche 23 février 2014

R comme

- R comme Reddition: M. Darier aura beaucoup insisté, tout au long de la matinée du samedi 15 février qui nous entraîne dans la Grenade de la fin de la Reconquête, sur les préjugés bien ancrés concernant 1492 que chacun considère comme la fin de la bataille ou comme la "chute" ("la caída de Granada"). Son exposé sur le parvis de la cathédrale permettra, avant de s'intéresser aux détails de la façade principale, de revenir sur cette confusion sémantique et de rappeler les liens de vassalité qui existaient depuis des décennies entre le royaume nasride et la Castille.
- R comme Renaissance: Passionnant d'étudier les mutations connues par la cité à travers quatre édifices emblématiques: le Corral del Carbón, le seul caravansérail du monde occidental devenu espace théâtral baroque puis halle au charbon; l'ancienne Madrasa de Yusuf I devenue Université sous Charles Quint après avoir subi les foudres de l'archevêque Cisneros (c'est à ce dernier que l'on doit l'autodafé de la bibliothèque mis en scène sur la Place Bib-Rambla); la cathédrale, énorme masse coincée entre les bâtiments environnants qui, contrairement aux cathédrales de Séville et Cordoue, n'a ni patio ni esplanade pour prendre l'air; la chapelle royale qui abrite les sépultures des Rois Catholiques et des parents de Charles Quint.


- R comme Reconquête religieuse: C'est à la fois le commentaire historique et architectural de M. Darier mais aussi les exposés de Sabrina sur 1492 et de Laurie et Théo sur le rôle de l'Inquisition dans l'élaboration des statuts de pureté de sang et dans la persécution des cristianos nuevos ("nouveaux chrétiens") qui nous font prendre conscience du changement de cap opéré au XVème siècle en territoire chrétien où le processus de Reconquête entre dans sa phase ultime et devient définitivement une guerre de religion (processus amorcé au XII-XIII avec notamment la victoire de las Navas de Tolosa en 1212).
- R comme Reine Catholique: Fernando et Isabel ont leur avenue en plein centre XIX, leur sépulture côte à côte mais Isabel a sa place et sa statue avec l'éternel Colomb agenouillé comme dans une idylle suggérée, la chapelle royale a été conçue par la reine de Castille qui a soigneusement sélectionné les artistes qui ont conçu la grille de fer forgé, les peintures et sculptures, le style des arcades est bien isabelino... Isabel "tanto monta" comme nous le rappelle la célèbre devise.




- R comme Rayons de soleil: Le soleil est avec nous depuis le lever et fait miroiter la pierre reconstituée des grandes avenues XIX, les pavés de la Grenade Renaissance et les galets de l'Albaicín que nous allons explorer dans l'après-midi.



- R comme relectures: L'archange Michel/ Miguel qui protège la cité bien catholique de son épée brandie au sommet d'une coupole nous invite à lire un court extrait du Romance de Federico García Lorca, séduit par la dentelle de sa jupette qui laisse découvrir ses jolies cuisses. L'archange Raphaël/ Rafael avait veillé sur nous à Cordoue. Une autre lecture séduira tout particulièrement le groupe, un extrait du Médecin de Cordoue d'Herbert le Porrier (1974) où il est question de la destruction de la grande bibliothèque de Cordoue par Al-Mansour, le nouveau conquérant almohade. A Grenade, nous n'oublions pas Cordoue.
- R comme Romances: C'est à une promenade littéraire que nous invitons le groupe dans l'après-midi, malgré tout M. Darier fera un point nécessaire sur l'Albaicín, des origines au XXème siècle. Nous poursuivons avec M. Müller notre (re)découverte de la poésie de Lorca: commentaires et lectures de poèmes vont ponctuer notre montée à l'assaut du quartier primitif, de cette première moitié de la grenade. Quelle vision de la ville dans la poésie et les conférences du poète? Nous y répondons par l'évocation du thème de l'espace clos, par la question de la dimension idéale, par la description des personnages qui peuplent le Poema del Cante Jondo ( 1921-1931) et le Romancero Gitano (1929) et par l'analyse de l'engagement républicain et humaniste de Lorca en faveur des minorités culturelles, religieuses et sexuelles. Les miradors nous permettent de faire des haltes reposantes et de contempler à la fois la ville moderne mais aussi de découvrir, arrivés à San Nicolás, l'Alhambra, sur l'autre moitié de la grenade. Les étudiants se prêtent au jeu et sont à l'affût des moindre détails qui rappellent que Lorca a fréquenté les lieux et s'en est inspiré: vu, par exemple, sur la placette San Miguel un "lagarto de Lorca" .



- R comme Realejo: Nous accordons un long temps libre en fin d'après-midi pour des achats éventuels et une découverte en autonomie avec questionnaire du Realejo, pour les plus courageux (Laurie et Théo cette fois-ci!). Le groupe se disperse après une descente échevelée de l'Albaicín et du Paseo de los Tristes noir de monde: Les Grenadins profitent du beau temps en famille et la promenade  au pied de l'Alhambra est particulièrement animée: groupes musicaux et terrasses invitent à ralentir et à prendre un peu le temps de vivre, ce que nous faisons bien volontiers. Les consignes sont données, nous nous séparons quoique pas bien longtemps car un petit groupe très motivé se retrouve pour visiter les Bains arabes du XIème siècle parfaitement conservés.
- R comme Rendez-vous mystérieux: Un petit groupe a pris en charge l'organisation de la soirée d'anniversaire surprise de nos deux verseaux, M. Darier (né justement le 15) et M. Müller. Merci à eux, et notamment à Malika et Julia, car ils auront beaucoup couru pour réserver dans un salon de thé mauresque, pour commander des gâteaux, acheter des bougies, des cadeaux pour les trois professeurs... Nous passons une excellente soirée, Teo s'est joint à nous et nous pouvons enfin nous détendre car il aura fallu manœuvrer habilement pour que JMD et PM ne se doutent de rien. Avant la tetería, c'est à Chloé L. de nous ménager une superbe surprise avec une mise en scène très originale de son exposé consacré à Lorca et la mémoire historique. Un costume-cravate a voyagé depuis la France pour que l'évocation soit plus parfaite. VOIR EXPOSE SUR PAGE ANNEXE.

samedi 22 février 2014

Un Age d'Or

Samedi déjà et je suis en retard pour le compte-rendu...

Vendredi 14 février, une belle journée à Cordoue, de la forêt de colonnes de la grande mosquée devenue cathédrale au quartier juif (judería, aljama): notre promenade est placée sous le signe de la convivance. Et pourtant tout commence mal avec cette petite pluie fine et ce ciel gris qui nous fait évoquer la Bretagne ou la Galice. Je peste car je sais que toutes les villes, même les plus belles, paraissent sinistres sous la pluie. Il faut mettre le groupe en condition, y croire.



- Nous attendons l'ouverture de la mosquée dans le patio de los naranjos en observant naturellement une similitude avec celui de la cathédrale de Séville, implantée elle-même sur la mosquée almohade dont il ne reste que le minaret, la fameuse Giralda: fontaine pour les ablutions des fidèles, circuit de rigoles qui fait couler l'eau sous nos pieds, orangers qui ploient sous les fruits à portée de nos mains, cloches qui sonnent le décompte des heures. Malika nous rappelle comment est apparu l'Islam, quels en sont les piliers, comment se conçoit l'espace de la mosquée: les panneaux colorés qu'elle avait préparés en France l'ont suivie jusqu'ici et circulent de mains en mains. Puis c'est au tour de Sinan d'évoquer l'Age d'Or des règnes d'Abd el-Rahman III et d'Al-Hakam en terme d'espace conquis, d'organisation politique et sociale, d'échanges commerciaux et culturels. C'est de cette période tout particulièrement que parlera à nouveau M. Darier au moment de revenir plus précisément sur l'édification et les agrandissements de la mosquée, érigée avec des matériaux de "récupération" (temples romains, églises chrétiennes), des matériaux locaux comme la brique fabriquée avec la terre rouge des alentours et pour le Mihrab uniquement, des matériaux bien plus précieux acheminés d'Orient avec les artisans les plus chevronnés.



- Nous pénétrons dans la mosquée, moment saisissant d'autant plus que, là aussi, les consignes sont très strictes, si le groupe se sépare ou est trop bruyant, c'est la porte! M. Darier commente, je surveille le groupe, pas facile d'interdire tout échange, les étudiants ont besoin de communiquer leurs impressions, ils sont saisis: par les dimensions de l'ouvrage, l'effet de répétition, les zones bien délimitées qui renvoient à une histoire particulière du bâtiment. L'odeur d'encens est merveilleuse, nous déambulons d'un pas tranquille, le regard toujours en mouvement: les arcs aux formes différentes, les colonnes aériennes de marbre ou de pierre, les plafonds en artesonado, le travail du stuc et des feuilles d'or... Reste la verrue immonde, la cathédrale implantée en plein cœur de la mosquée, malgré toutes les oppositions des autorités municipales de l'époque et d'une grande partie de la population, sans compter les critiques de l'empereur Charles Quint dont les mots célèbres prennent sur place tout leur sens: dans la cathédrale, nous sommes dans toutes les cathédrales que l'Espagne connaît (choeur, stèles, chapelles, tombeaux...) alors que dans la mosquée nous étions nulle part ailleurs. 
- Nous quittons cet univers hybride tout en cherchant la colonne mentionnée par T. Gautier sur laquelle un prisonnier chrétien aurait gravé le nom de Jésus avec... les ongles!




- Une culotte de gendarme apparaît dans le ciel, promesse d'un peu de soleil, direction les jardins de l'alcázar chrétien édifié par Alphonse XI (pour quelle raison le Burlador de Tirso n'est pas cordouan mais sévillan??) et résidence des Rois Catholiques dont nous verrons la statue dans la verdure, Isabel et Fernando recevant l'hommage de Christophe Colomb.




- Le soleil prend le temps de l'exposé de Salomé sur la médecine andalouse pour enfin nous chauffer. Un commentaire bien maîtrisé, notre étudiante se sert à peine de ses feuilles: des préceptes de base dont le but est l'hygiène de vie aux médicaments et techniques opératoires, c'est un pan essentiel du savoir médiéval en terre islamique qui est évoqué. Salomé rappelle que les Andalous ont lu et commenté les textes grecs. M. Darier poursuit par une analyse nécessaire de l'espace extérieur qu'est le jardin, représentation sur terre du paradis et nous invite à observer l'agencement que nous avons sous les yeux: la disposition des parterres (fleuris en février!) et des bassins, le choix des matériaux, l'intelligence pratique qui fait que l'eau coule et jaillit sans cesse sans nul besoin de pompe. L'eau est une bénédiction pour les hommes du désert qui ont trouvé leur paradis sur terre.


- L'après-midi, moins statique, est conçu comme une promenade hommage: hommage à Florence Delay, Agrégée d'Espagnol et Académicienne qui oeuvre en 2004 à l'entrée du mot "convivance" dans le dictionnaire français; hommage aux Juifs séfarades qui ont peuplé les cités d'Al-Andalus ou des royaumes chrétiens et ont connu la dispersion en 1148, 1391 ou 1492. De placettes en placettes, nous nous perdons dans le labyrinthe chaulé de la judería tout en poursuivant plusieurs objectifs: rappeler les origines des Séfarades, évoquer leur Age d'Or, réfléchir au concept de "tolérance" et reconnaître que cette tolérance était toute relative et dépendait des lieux et des époques, reconnaître que l'Espagne retrouve ce passé séfarade bien tardivement et notamment pour des raisons de marketing touristique. C'est donc avec une certaine nostalgie et un peu d'amertume que je fais entendre "Arboles lloran", en invitant mes étudiants à ne pas imiter une phonologie d'un autre âge. Au-delà de la Puerta de Almodóvar, le destin des Juifs croise celui de Sénèque évoqué pour nous sur le papier par Madame Pézeret qui en cet instant précis, est justement occupée à traduire l'auteur né à Cordoue avec ses LS2 restés en France. La promenade se poursuit Place Tibériade, devant la statue de Maïmonide, par un exposé de Paul sur Averroès. Notre étudiant est aussi à l'aise dans la présentation de la pensée du philosophe musulman qui cherche à concilier foi et raison, religion et philosophie que dans la phase d'échanges qui concerne à la fois Averroès (1126-1198) et Maïmonide (1135-1204), tous deux animés par les mêmes interrogations et confrontés à la même intransigeance du pouvoir almohade, condamnés à s'exiler et à mourir loin de Cordoue. J'ai tout juste le temps de glisser la question cruciale de la conversion de façade, thématique essentielle chez Maïmonide qu'il justifie parfois pour des raisons philosophiques ou religieuses et qui annonce la pensée de Spinoza.


- Il m'aurait fallu quatre heures au lieu de deux pour boucler mon programme. Je reste un peu sur ma faim: la syna était fermée, pas le temps d'évoquer le devenir des judéo-espagnols après 1492, pas le temps de parler de Franco et des Juifs, je mets donc cette partie de mon exposé sur une page du blog, pour ceux qui souhaitent en savoir plus. J'ai eu juste le temps d'égratigner au passage de la Torre de la Calahorra le sulfureux Roger Garaudy. Nous retrouvons Téo qui nous conduit à Grenade.
- En route, une cantiga séfarade à la thématique traditionnelle: la fiancée dit adieu à sa mère et son bonheur d'avoir trouvé mari dans Desde hoy la me madre. J'évoque aussi le rôle essentiel de Zyriab, le "merle noir", dans la création de la musique arabo-andalouse, art de fusion, art de vivre: beaucoup dans le groupe découvre ce qu'est une "nouba", ce qu'est un "oud". Je reviens sur les genres singuliers des poèmes andalous chantés: poèmes bachiques, poèmes d'amour, éloges de la nature. Nous écoutons Jardin de Myrte, une composition instrumentale foisonnante et raffinée. Pour ceux qui ne se sont pas endormis, c'est un très beau moment: écouter ces airs venus d'un autre âge et regarder le paysage où alternent oliviers et châteaux forts, se perdre avec Steeve dans un dédale de dates et d’avènements où Saint-Louis côtoie Louis XIV!

- L'arrivée à Grenade est faite de sensations très différentes: la pleine lune est énorme, très basse, elle est notre premier contact avec la ville que nous découvrons d'abord dans sa partie récente puis XIXs avec les immanquables embouteillages du vendredi soir. Les étudiants sont finalement ravis de ce bouillonnement humain, après les rues de Cordoue désertées le soir. Nous allons aller de surprise en surprise: notre hôtel, Acera del Darro, n'est pas "à côté de " la maison familiale de Lorca dont je dois commencer l'évocation ce soir avec M. Müller mais "est" la première maison habitée par la famille du poète installée à Grenade en 1909. Pourtant aucune plaque ne l'indique sur la façade de l'hôtel, aucun "rincón de la memoria" à l'intérieur. Curieux ce silence ou au contraire révélateur de ces relations ambiguës entre la ville et le poète assassiné en août 1936 par les représentants de la droite la plus réactionnaire, arrêté au domicile de son ami - pourtant phalangiste -  Luis Rosales, au 1 de la rue Angulo.
- La promenade nocturne, ponctuée de commentaires d'EDM et de lecture de poèmes par PM, est l'occasion de découvrir la partie XIXs de Grenade dans laquelle s'installe la famille du poète, la jeunesse de ce dernier et son implication dans la vie intellectuelle de la ville qui a fait sa fortune dans la culture de la... betterave. Je mène mon groupe de place en place, aidée de M. Darier qui a le plan bien en main: du Café Alameda où s'organisait la tertulia du Rinconcillo, à la statue de Mariana Pineda, l'héroïne grenadine chérie de Lorca; du Centre Federico García Lorca toujours en construction au Jardin Botanique... Ce sont les années 1898-1919 que j'évoque rapidement: la naissance dans la Vega, l'enfance et l'adolescence musiciennes avec Don Antonio Segura, les études sous la direction de Martín Domínguez Berrueta et la présence bienveillante de Fernando de los Ríos... j'insiste sur l'importance de ces rencontres dans le parcours de formation du jeune artiste et sur le rôle fondamental de la Instittución Libre de Enseñanza, institution laïque et libérale qui prétend accorder une place primordiale à l'enseignement dans une Espagne confrontée à une crise politique et spirituelle sans précédent depuis 1898. J'ai aussi beaucoup insisté, en guise d'introduction, sur la mise en place récente des lieux de mémoire consacrés à Lorca dans et hors de Grenade.
- Troisième bonne surprise de la soirée, une jeune grenadine remet à Paul des coupons de réduction pour un local fréquenté par des étudiants, très nombreux dans cette ville, première destination Erasmus. Pour moins de trois euros, nous aurons droit à une fin de concert, une boisson et une partie de baby-foot. Il est plus de minuit, il faut rentrer.


jeudi 20 février 2014

Quién no vio Sevilla, no vio maravilla

Deuxième jour aussi riche en découvertes et sensations que le premier:
- Tout est affaire d'organisation, comme nous voyageons de ville en ville, impossible de nous poser vraiment à l'hôtel et de prendre un peu le temps de vivre le matin. Nos horaires tiennent parfois de la caserne! Les bagages chargés dans le coffre du bus, nous voilà partis pour le centre, direction l'Alcázar.



- Nous avons une heure devant nous pour l'exposé de Baptiste et Esther sur Al-Idrissi, célèbre géographe andalou. Passionnant de voir ses cartes où notre Nord est son Sud et où l'Océan est "ténébreux". M. Darier encourage ses étudiants qui ont travaillé sous sa direction à parler plus fort, moins vite car il y a tant à noter.
- C'est au professeur cette fois-ci de nous donner matière à mieux comprendre ce que nous verrons lors de notre visite de l'Alcázar: comprendre que ces palais-forteresses sont aux antipodes des châteaux-forts occidentaux, comprendre ce qu'est l'art mudéjar, art de contact de d'échange, mieux cerner les personnalités et les politiques d'Alphonse XI ou de Pierre le Cruel/ Le Justicier.



- La visite de l'édifice et des jardins commence à 10H: les lieux étant aussi résidence officielle des souverains actuels, les consignes sont très strictes à l'entrée. Notre groupe découvre d'abord les jardins, cet art de vivre exceptionnel, regrette de ne pas avoir accès au labyrinthe de verdure... puis l'intérieur de l'édifice et notamment la salle des ambassadeurs d'Alphonse XI (mentionnée dans le Burlador de Tirso de Molina que les hispanisants de LS1 et LS2 étudient avec moi) , la partie érigée sous Pierre I, la zone correspondant à la Casa de Contratación... les époques se mêlent, pas si facile de se repérer dans la chronologie parfois. Le groupe commence à apprendre à lire les façades, à déchiffrer devises et blasons. On retrouve facilement les armes de la Castille, d'Aragon, du Léon... déjà visibles à la Cathédrale et l'on découvre le blason de la Orden de la Banda créée par.... Alphonse XI pour sa suite composée de chevaliers désargentés.



- Le temps libre est l'occasion de paresser sur une placette pour y écouter un guitariste ou de découvrir le quartier de Santa Cruz avec un document d'accompagnement prévu dans le livret de voyage. Malika, Sabrina, Julia, Théo, Laurie et Salomé ont fait presque tout le tour prévu.



- L'après-midi, changement de maître de cérémonie, c'est M. Müller qui nous entraîne sur les traces d'un personnage littéraire que les Français connaissent bien, la Carmencita: promenade entraînante qui nous conduit des arènes de la Maestranza à la Torre del Oro et de la fabrique de tabac à l'église Santa Ana de Triana, réputée pour sa trinité "décalée" composée d'Anne, de Marie et de l'enfant Jésus, une trinité qui n’était pas vraiment du goût des autorités ecclésiastiques d'autant plus qu'Anne n'apparaît pas dans le Nouveau Testament. M. Müller navigue le long du Guadalquivir, "sous les remparts de Séville", entre Mérimée et Bizet et cherche à dresser le portrait le plus précis possible de la gitane. Le texte de la nouvelle et de l'opéra est lu ou commenté et l'analyse insiste sur les détails physiques, sur la psychologie, sur le comportement du personnage: diabolique, dangereuse, fascinante, animale, la Carmencita est la perdition des hommes, la victime des préjugés d'une société profondément machiste.



- Vite, vite, nous sommes en retard, impossible d'aller jusqu'au Cristo del Cachorro pour y voir cette sculpture faite à partir du visage mort d'un gitan poignardé. Teo nous attend pour nous conduire à Cordoue. En route, de la musique: Isaac Albéniz et son évocation de Triana que nous venons de quitter, une composition alerte et complexe où les notes bondissent mais aussi se teintent parfois de mélancolie. Et puis une sélection de compositions instrumentales ou vocales du temps de Charles Quint. L'occasion pour moi d'évoquer l'épouse de ce dernier, la très belle et très cultivée Isabelle de Portugal.
- Arrivée au crépuscule à Cordoue, nous longeons le Guadalquivir alors que les réverbères s'allument peu à peunous traînons nos valises dans le centre historique interdit aux voitures. Une tout autre ambiance, Cordoue est un mouchoir de poche mais qui enferme un trésor.
- Découverte de notre hôtel bien différent du modèle standard de celui de Séville. Ici il s'agit une petit hôtel de famille construit autour d'un patio sur lequel donnent nos chambres. Nous sommes comme à la maison. Dans un coin, el rincón sefardí, cet hôtel est inscrit comme étape possible sur la route de l'Espagne séfarade.
- Un dîner cordouan avec pisto et aubergines au miel, beaucoup de questions de Teo sur nos jeunes, sur les études qu'ils font, sur les rapports que nous entretenons avec nos étudiants: "Mira Elisabeth, yo te puedo decir que esos jóvenes están muy muy bien educados."
- Puis la promenade nocturne dans la Ville basse, sous une pluie fine qui n'entame pas notre bonne humeur ni l'entrain de notre guide, M. Darier, qui non seulement lit le plan mais aussi nous régale de commentaires sur les places et rues que nous empruntons. Un arrêt de rigueur devant le Cristo de los Faroles et la Plaza del Potro où Cervantes aurait séjourné et qui serait mentionné dans son roman phare (conditionnel de rigueur car si le personnage du Grand Capitaine est en effet cité dans l'un des chapitres de la Partie I - soit dit en passant, Gonzalo Fernández de Córdoba était de Montilla! - rien ne dit que l'auberge dans laquelle séjournent les personnages est celle du Potro.



- Enfin, un moment convivial dans le lieu le plus branché de la ville, le Sojo Bar Fusión: terrasse sur les toits de cet édifice ultra moderne, vue splendide sur le pont romain et la Torre de la Calahorra, mojitos en plein air alors que nous sommes en février et puis une scène surréaliste dans la rue, à nos pieds: un groupe s'entraîne pour les processions du printemps avec un char dont la plateforme n'accueille qu'un vague pantin. Les soirées sont un moment essentiel pour décompresser et mieux se connaître. Des petits groupes amicaux se forment, nos Minis Clos sont déjà parfaitement intégrées.

mercredi 19 février 2014

Déjà une semaine

Nous avons tous pu ressentir comme le temps filait au cours de cette semaine... comme il fallait saisir tous les instants malgré la fatigue et la densité du contenu. Je me propose de revenir sur les "bons moments" en étant consciente que mon choix ne sera pas forcément les vôtres. A vous de commenter!

Mercredi 12 février (5H-23H30): 

- Rien n'est jamais parfait: un SMS m'apprend la veille au soir que Vincent est au fond de son lit avec 40° de fièvre, une angine l'empêche de partir avec nous.
- Opération escargot, accident sur l'A13... difficile d'être à l'heure mais finalement tout le monde est enregistré, direction notre avion, quelques turbulences au-dessus des Pyrénées.
- Teo nous attend à l'aéroport, notre chauffeur, notre ami qui va nous conduire tout au long de ses cinq jours. Un abrazo chaleureux, beaucoup de classe et de professionnalisme. Teo dialoguera avec beaucoup de gentillesse avec nos élèves et étudiants qui veulent parler espagnol, il sera aussi très curieux du contenu de notre séjour et très impressionné de l'attitude du groupe.



- Nous commençons notre programme à 14H30, devant la cathédrale de Séville: exposé de M. Darier, un début en fanfare, il va falloir être très concentrés car nous parcourons des siècles d'histoire, les dates s'accumulent, le lexique spécifique aussi.





- Découverte de la Giralda et du Girardillo.



- Visite de la cathédrale par groupes interfilières avec questionnaire à remplir: les collègues observent les groupes, donnent un coup de main, écoutent et échangent. Manque de chance, la capilla real est fermée, pas de tombeau de Fernando III, pas de Virgen de los Reyes. Par contre, tout le monde a bien repéré la cape de Charles Quint (première énigme du voyage), la Vision de Saint-Antoine de Murillo et le monument à Colomb (grandes discussions sur les chauves-souris): beaucoup découvrent ce qu'est un chœur, une chapelle, une sacristie...



- Un premier exposé dans le Patio de los Naranjos sur Isidore de Séville que Camille et Clémentine ont repéré sur un portrait accroché dans la sacristie... et une mise au point lexicale: le groupe a bien assimilé les différents types d'arcs et semble adorer le mot "custode"!



- On enchaîne sur la visite du Museo del Baile Flamenco et c'est le premier coup de cœur: accueil adorable du directeur qui revient sur les origines multiples de cet art, visite de l'expo par une guide entraînante, et puis la magie du spectacle dans la patio: une heure d'"alegría", de "bulería" et autres danses flamencas, du chant et de la guitare, deux danseurs de très haut niveau. Magique, le groupe est aux anges en sortant. Les premiers "merci madame" dits avec le cœur se font entendre. Je suis ravie de ce choix, nous aurions été déçus par le flamenco offert aux touristes dans les cabarets sélectionnés dans les guides, ici les étudiants ont pu entendre et voir la tradition mais aussi le souci d'ancrer le flamenco dans la modernité.



- Direction notre hôtel, un peu excentré mais de qualité: personne ne se fera prier pour aller dormir.
Avant tout de même, deux très bons exposés: l'un sur Séville et l'Autonomie andalouse par Adama et l'autre sur la crise économique en Andalousie par Fiona et Tatiana. VOIR PAGES EXPOSES.
Quelques mots échangés au salon avant de se séparer pour une nuit réparatrice.

dimanche 9 février 2014

Construire c'est déconstruire...




Nous découvrirons vite qu'en Andalousie les églises ont été jadis des mosquées ou des synagogues et que ces mêmes mosquées étaient elles-mêmes le plus souvent soit des églises wisigothes soit des édifices romains. 
La conquête puis la reconquête supposait la réorganisation des espaces religieux, notamment.
Lorsque Ferdinand III dit le Saint entre à Cordoue, il consacre immédiatement la Mosquée du Califat à la Vierge Marie mais il ne peut se résoudre à toucher la moindre pierre de ce bâtiment unique au monde. Près de 300 ans plus tard, dans une Espagne dominée par la peur de l'Inquisition, le chapitre de la Cathédrale obtient la droit, malgré la mobilisation des notables cordouans, d'édifier au centre même de la forêt de colonnes... une basilique chrétienne de style Renaissance.
Charles Quint qui avait pourtant donné son accord regrettera profondément sa décision en visitant le chantier. On connaît les paroles célèbres:
"Vous avez détruit ce qui était unique au monde et vous y avez mis ce qui se voit partout dans le monde."... "Habéis destruido lo que era único en el mundo y habéis puesto en su lugar lo que se puede ver en todas partes."



Qui sera capable de citer ces paroles prononcées en 1526 lorsque M. Darier nous présentera la "mezquita-catedral"?



Nous entrons dans le pays des songes ...


"Nous entrons dans le pays des songes […] il ne fait pas beau à Grenade de la même façon qu’ailleurs. Là, le ciel n’est point comme les autres ciels ; il y a une vapeur dans l’air qui tamise les couleurs et qui adoucit le ton des horizons, à tel point que l’œil semble se reposer sur des océans de velours …"
Une petite citation d'Alexandre Dumas qui s'est bien amusé lors de son voyage en Espagne...
http://www.prepamantes.fr/

samedi 8 février 2014

Rinconete y Cortadillo, deux sacripants à Séville

Tout le monde connaît Cervantès (1547-1616) et sait qu'il est l'auteur du Quichotte, oeuvre à ce point familière (même pour celui qui ne l'a jamais lue) que la coutume est de l'appeler... Le Quichotte au lieu de ce titre à rallonge qui indiquait sur-le-champ l'intention parodique d'un auteur bien décidé à promouvoir une littérature de bon ton, divertissante mais vraisemblable, facétieuse mais intelligente. Cervantès avait dans l'idée à la fois de parodier des romans de chevalerie très en vogue en Europe et particulièrement en Espagne mais aussi de livrer une réflexion sur le roman qui n'en était qu'à ses balbutiements, une "théorie" très proche des idées des moralistes espagnols de la Renaissance comme les frères Alfonso et Juan de Valdés, humanistes espagnols influencés par Erasme.
Car Le Quichotte est cela: un formidable roman en prise avec la réalité ultra contemporaine des lecteurs du XVIIème siècle, ce "miroir que Cervantès va promener le long des chemins" de Castille, d'Aragon ou de Catalogne, une oeuvre qui faisait se tordre de rire les paysans réunis autour d'un bon feu mais aussi les lecteurs érudits des nobles demeures tout en étant un état des propositions de l'auteur en matière d'écriture: quels rapports entre réalité et imagination, quel langage pour quels personnages ou quelles situations, quel point de vue narratif...

Le premier tome, paru en 1605, est un énorme succès et l'on sait les conséquences de cet engouement pour le personnage du chevalier "à la triste figure"... la publication d'un ouvrage apocryphe d'un certain Avellaneda qui, en 1613, prétend lancer DQ dans de nouvelles aventures, sans l'autorisation de son créateur qui réagira bien vite en publiant un second tome en 1615 dans lequel il réglera ses comptes à l'auteur du plagiat tout en exploitant cet épisode de façon très judicieuse dans son oeuvre même.

Entre 1605 et 1615, Cervantès ne reste pas inactif, il publie en 1613 un recueil de "nouvelles exemplaires", devenant ainsi le premier auteur espagnol à s'intéresser de très près à ce genre bien connu en Italie, celui du récit court. On sait la postérité du genre bref à la fois en Espagne mais surtout en Amérique Latine. Des nouvelles il y en a au sein même du premier tome du Quichotte. Les personnages lisent beaucoup eux-mêmes, on s'arrête de temps à autre dans une auberge et on lit des nouvelles trouvées au hasard dans des coffres des auberges, comme celle du "curieux impertinent". N'oublions pas que beaucoup reprocheront à Cervantès d'avoir intercalé des récits qui du même coup ralentissaient l'action principale, sans voir assez que le projet de ce dernier était de créer une oeuvre totale, capable de faire entendre des voix différentes, des registres différents, des actions différentes mais ayant tous comme point commun l'éloge de la mesure et la raison. Avec cette réaction de romancier moderne, à l'écoute de son public, le choix de ne plus rien intercaler dans le second tome.
Dans le premier tome du Quichotte, il est donc question d'une nouvelle intitulée Rinconete y Cortadillo, qui ne sera pas lue mais juste mentionnée par un des personnages qui prétend d'ailleurs fort bien connaître son auteur, un certain Miguel de Cervantès. L’auto-citation est toujours un grand plaisir pour des auteurs en mal de reconnaissance comme Cervantès qui aura connu un temps la prison et se trouvera aussi au centre d'une polémique qui le fait affronter son ancien ami et dramaturge génial, Lope de Vega.


Ces douze Nouvelles exemplaires, qui sont autant de formules narratives, sont encore l'occasion de nous montrer la société espagnole dans sa globalité: sa noblesse au comportement plus ou moins noble, ses pauvres gens qui savent rester dignes dans l'adversité, ses gitans parfois voleurs, parfois aux origines aristocratiques, ses chiens savants et ces gueux bien sûr. Car la société baroque espagnole est faite de nobles titrés, de "grands" mais aussi de ces rebuts de l'humanité que sont les voleurs, les mendiants, vrais ou faux, les étudiants pauvres, les escrocs en tout genre qui pullulent dans les grandes villes et notamment à Madrid ou Séville.
L'Espagne est une terre qui fabrique volontiers des mythes littéraires: la Célestine, Don Juan et le "pícaro" par exemple. C'est à l'Espagne que l'on doit le roman picaresque, ce genre qui ne pouvait que naître dans un pays qui met en place au XVème siècle l'Inquisition et les statuts de pureté du sang, dans un pays où le travail est considéré comme une indignité, où il convient d'accumuler terres et titres. Le gueux du roman picaresque qui a comme particularité de prétendre être une autobiographie, est un être immonde, à la généalogie douteuse, dont les aventures ne visent qu'à prouver que la société doit bien se garder d'intégrer ou de veiller à éduquer ces individus relégués définitivement dans un infra-monde. L'auteur baroque qui aura le plus contribué à discréditer le gueux des villes est Francisco de Quevedo, auteur conceptiste à l'écriture flamboyante, aristocrate profondément antisémite et homme de toutes les ruses, représentant de cette société verrouillée et terriblement conservatrice. Son Buscón, qui conte les aventure de Pablos de Segovia, est un véritable feu d'artifice verbal qui pousse à son extrême la "chosification" de l'homme, être abject dévoré par le désir de "medrar" ("gravir les échelons") et de prendre une place qui ne saurait lui revenir.
Avec Cervantès, le picaresque a un tout autre ton: point de poursuite impitoyable du gueux, point de dévalorisation de l'humanité mais un regard toujours tendre sur ses personnages, ici deux jeunes garçons qui voient dans la vie des "pícaros" l'occasion inespérée de vivre libres et au grand air. Et voilà nos deux héros, devenus compagnons de route après une rixe dans une auberge castillane, arrivant à Séville, bien décidés à y faire fortune. Bien grande sera leur désillusion car la Séville cosmopolite et matérialiste du XVIIème siècle est aussi la cité de tous les dangers sur laquelle règne en maître Monipodio, le roi des truands. Séville n'est qu'un mirage pour des jeunes sans possibilité de promotion sociale. Point de salut à Séville où Cervantès sera d'ailleurs emprisonné un temps en 1594: devenu percepteur des impôts, il est accusé d'avoir détourné cet argent qu'il devait versé sur un compte bancaire. Il fréquentera la prison de la Calle Sierpes où Mérimée placera aussi sa Carmen.




vendredi 7 février 2014

Olé, Santa Eva!



Les Saintes de Zurbarán revisitées par la très belle Eva Yerbabuena


http://www.evayerbabuena.com/es/

Peinture espagnole, peinture sévillane au XVIIème siècle


Les peintres espagnols de cette époque sont très marqués par l’influence italienne, et notamment par Le Caravage (du fait de l’intensité de contrastes en clair-obscur, on parlera de « ténébrisme caravagesque »). L’influence hollandaise sera aussi prépondérante, notamment avec Rubens qui s’installe à Madrid à  la cour de Philippe IV.
Parmi les peintres les plus connus de cette époque, intéressons-nous à Velázquez (1599 - 1660), Zurbarán (1598-1664), et Murillo (1617 ou 1618 –1682)

Quels sont leurs liens avec Séville ?

Murillo et Velázquez sont sévillans de naissance,  et Zurbarán y paracheva ses études de peinture et s’y installa. Murillo né à Séville (décembre 1617 ou janvier 1618) et mort à Séville (le 3 avril 1682) est remarquable par sa fidélité à sa ville natale. Moins fidèle, Velázquez, après ses débuts sévillans, partira s’installer à Madrid, comme peintre de la cour de Philippe IV.

Qu’est-ce qui les caractérise ?

Pour ce qui est de Velázquez, nous ne nous intéresserons qu’à sa période sévillane qui correspond à son apprentissage et à ses premières œuvres.  Alors qu'il n'avait que 18 ou 19 ans, il peint des natures mortes ou des scènes du quotidien,  comme La Vieille femme faisant frire des œufs :



Vieille femme faisant frire des œufs, 1618

Dans ces toiles, une forte lumière orientée accentue les volumes et des objets simples paraissent se détacher au premier plan. Velázquez tentait, comme dans certaines des œuvres du Greco, de pratiquer  un clair-obscur personnel.
Une autre scène de genre qui imposa le jeune Velázquez comme un artiste exceptionnel est Le Porteur d'eau de Séville  (vers 1620) :




La clientèle sévillane, majoritairement ecclésiastique, demandait des thèmes religieux, des toiles de dévotion et des portraits, ce qui explique que la production de cette époque se concentrât sur les sujets religieux comme L’Immaculée Conception :



 Immaculée Conception de Diego Velázquez, vers 1618


et son pendant, le Saint Jean à Patmos du couvent des carmélites de Séville :


 Saint Jean à Patmos de Diego Velázquez, vers 1618



Contemporain et ami de Velázquez, Zurbarán se distingue fortement par ses peintures religieuses — où son art révèle un profond mysticisme — et il devient un artiste emblématique de la Contre-Réforme.



 Le martyre de Sérapion


L'élément religieux de l'art espagnol a en effet pris une importance accrue et Philippe IV apporte un soutien appuyé aux artistes qui partagent ses opinions sur la Contre-Réforme et la religion. L'œuvre austère et ascétique de Francisco de Zurbarán illustre cette tendance. Son mysticisme - influencé par Sainte Thérèse d'Avila - finit par devenir une caractéristique de l'art espagnol des dernières générations du Siècle d'or. Influencé par Le Caravage et les maîtres italiens, Zurbarán consacre son travail artistique à la représentation de la religion et de la foi.
Voici un échantillon du mysticisme de Zurbarán dans un portrait de Saint François d'Assise :



  Saint François d'Assise à genoux
               

D'abord très marqué par le Caravage, son style austère et sombre évolue pour se rapprocher des maîtres maniéristes italiens, comme on pourra le percevoir dans le tableau L'Immaculée Conception de 1661 :



Zurbarán se démarquera de  la vision réaliste de Velázquez et, d'une certaine façon, se tournera plutôt, pour l'inspiration et la technique, vers la vision émotive du Greco et des peintres maniéristes qui le précédent, même s'il reste dans le sillage de Velázquez en ce qui concerne la lumière et les nuances.
Cette évolution vers un certain maniérisme, très sobre et épuré chez Zurbarán, se remarquera aussi chez Murillo, comme l’atteste l’évolution entre les deux tableaux suivants sur un même sujet :



 L'Immaculée Conception par Murillo en 1665-70



 Immaculée Conception par Murillo en 1678

L’essentiel des œuvres de Murillo sont religieuses, comme La Vierge du Rosaire:



Œuvres religieuses qui lui valent un immense succès.


   L’Annonciation par Murillo


Mais Murillo est aussi renommé pour ses peintures de genre, particulièrement des portraits d'enfants pauvres, tel le portrait du « jeune mendiant » :




 Le Jeune Mendiant est souvent appelé "Le Jeune Pouilleux" : il est en train de se débarrasser de puces. C'est la première représentation picturale connue d'enfants des rues. Le peintre a sans doute été inspiré par la misère régnant dans les rues de Séville. Influencé par le courant caravagesque, Murillo insiste sur les détails sordides et peint de forts contrastes d'ombre et de lumière.
 Murillo est un des rares peintres baroques à peindre la pauvreté sans commisération ni pathos,  et à représenter la misère et la pauvreté sous des aspects aimables, dans une perspective chrétienne.






Si l’on voulait, en guise de conclusion, dégager les traits principaux d’une « peinture sévillane » (si tant est qu’une telle catégorie ait un sens !), il nous faudrait remarquer une inspiration qui se partage entre une spiritualité intense (mais dont l’ascétisme sévère tend à s’adoucir quelque peu) et une attention au quotidien et aux scènes de genre explorant la vie la plus humble.