Le décret de l’Alhambra, connu pour avoir
causé l'expulsion des Juifs d'Espagne, fut publié le 31 mars 1492 par les Rois Catholiques.
Le décret ordonne l’expulsion définitive avant le 31 juillet (repoussée
au 2 août/ le 3 c’est de départ de Christophe Colomb vers le Nouveau Monde) des
Juifs refusant le baptème, tous âges et catégories sociales confondus et ne leur permet
d’emporter qu’une infime partie de leur patrimoine. Isabelle, encouragée par
son confesseur Tomás de Torquemada, table sur une conversion
massive de Juifs profondément attachés à leur patrie. Bien que ses plans soient
partiellement couronnés de succès avec la conversion d’un grand nombre de Juifs
dont celles d'Abraham Senior et d’autres notables menées en grande pompe,
la majorité des Juifs choisissent l’exil (Isaac Abravanel).
Les estimations chiffrées concernant l'ampleur
de l'expulsion et des conversions sont très variables et sujettes à
controverse.
La majorité des historiens actuels estime en se basant sur les plus crédibles des sources, que les expulsés devaient être entre 150 000 et 200 000 mais d’autres évoquent des nombres inférieurs. Quant aux conversions, elles s’élèveraient à environ 50 000, mais, là aussi, les estimations sont malaisées, du fait qu'un certain nombre de familles ayant dans un premier temps fait le choix de l'exil se soient plus tard résignées à la conversion et au retour dans leur zone d'origine face aux difficultés et au drame personnel que constituait l'expulsion.
La majorité des historiens actuels estime en se basant sur les plus crédibles des sources, que les expulsés devaient être entre 150 000 et 200 000 mais d’autres évoquent des nombres inférieurs. Quant aux conversions, elles s’élèveraient à environ 50 000, mais, là aussi, les estimations sont malaisées, du fait qu'un certain nombre de familles ayant dans un premier temps fait le choix de l'exil se soient plus tard résignées à la conversion et au retour dans leur zone d'origine face aux difficultés et au drame personnel que constituait l'expulsion.
9 av 5252 : ceux qui partent tentent de
récupérer leurs créances et de vendre leurs biens avant leur départ, trop vite
et à perte. Les parents marient hâtivement leurs enfants, dès douze ou treize
ans, croyant que les couples seront favorisés dans le grand départ. Tous
cherchent le port, le pays d’accueil le plus sûr. A l’approche du mois de
juillet, on fait proclamer qu’aucun Juif ne peut emporter de l’or, mais on leur
autorise leurs vêtements et leurs bagages. Les futurs exilés tentent de
négocier leur or en soieries et en fourrures. Les joyaux sont confisqués par
les conseils urbains, par les Inquisiteurs ou par des
intermédiaires peu scrupuleux. Les Juifs seront fouillés au moment de
l’embarquement. Parfois ils doivent se vendre comme esclave pour payer leur
voyage. Nombreux sont ceux qui périssent.
Les Rois catholiques se rendent vite compte du vide
laissé par le départ des Juifs. Dès novembre 1492, ils font savoir dans les
royaumes voisins et au Maghreb qu’ils
autorisent le retour et restitueraient leurs biens à ceux qui se feraient
baptiser.
Le décret de l’Alhambra est
resté officiellement en vigueur jusqu'en 1967, date de son abrogation à
l'initiative du ministre du Tourisme, Manuel Fraga. Il faudra attendre 1992 pour que le roi Juan Carlos I l’abolisse de façon
solennelle lors des cérémonies qui visaient à renouer avec l’Espagne des Trois
Cultures.
La Seconde République de 1931 avait bien eu le projet d’en finir avec
ce texte infâmant mais rien n’avait été fait devant l’urgence de tant d’autres
réformes. Après cela, l’Espagne avait eu un rôle tout à fait particulier avant
et pendant la Seconde Guerre Mondiale en devenant une terre d’asile, parfois
provisoire, parfois définitive, pour des centaines de juifs qui fuyaient les
persécutions et ce, malgré les relations plutôt cordiales (dans un premier
temps) entre l’Espagne franquiste et l’Allemagne nazie. Rappelons le rôle du
Consul d’Espagne en France, Bernardo Rolland, qui arrivera à faire sortir
quelques juifs de Drancy. Il faut en fait remonter aux années 20 pour
comprendre l’attitude paradoxale de l’Espagne :
-
Le pays se découvre un intérêt pour les Séfarades, ces descendants des
juifs expulsés en 1492 et qui sont quelques dizaines de milliers en Europe
Centrale et Orientale, quelques milliers en France.
-
On parle alors beaucoup de réconciliation "hispanohebrea" et le
décret royal d’Alphonse XIII du 20 décembre 1924 accorde la nationalité
espagnole à tous les Séfarades (avec un délai possible de six ans) > annonce récente du gouvernement Rajoy.
Plus tard, ce sont des passeports et des visas qui seront accordés à des juifs
originaires de Turquie et bloqués en France car considérés comme apatrides.
C’est alors la dictablanda de Miguel Primo de Rivera.
Ce mouvement de sympathie et l’intervention appuyée de
personnalités comme Salvador de Madariaga ou le Docteur Angel Pulido
s’expliquent en partie par la prise de conscience que des milliers de
descendants des expulsés de 1492 constituent une diaspora viscéralement
attachée à la Terre des Origines et qui témoigne de cet attachement à
l’Espagne-Sefarad à travers, notamment, la pratique de la langue, le
judéo-espagnol. C’est dans cet intérêt porté à cette communauté dispersée que
s’inscrit l’attitude bienveillante par calcul de Franco.
Car quoi qu’en dise El País en 2010, Franco aura sauvé des Juifs et les 6 000
Juifs d’Espagne, sans doute recensés en 1941, n’auront jamais été livrés aux
Nazis : aucun train ne sera parti pour les camps de la mort. Or il semble
que cette page de l’histoire espagnole et juive ait été instrumentalisée encore
récemment. Discrédité aux
lendemains de la crise de 2008, ZP a usé et abusé de ce stratagème jusqu’à la
fin de son mandat. La dernière dispute, impulsée indirectement par le «
locataire » de la Moncloa, juste avant de décider de ne pas se représenter aux
élections générales du 20 novembre 2011, a porté sur l’attitude du Caudillo à
l’égard des juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale. Elle a été déclenchée
par un article sensationnaliste publié dans le journal El País, intitulé
: « Reportage : Le cadeau de Franco à Hitler. La liste de Franco pour
l’Holocauste ».
« Le régime franquiste ordonna aux
gouverneurs civils, en 1941, d’établir une liste des juifs vivant en Espagne.
Le fichage, qui incluait les noms, les activités professionnelles, idéologiques
et personnelles de 6.000 juifs, fut vraisemblablement remis à Himmler. Après la
chute d’Hitler, les autorités franquistes essayèrent d’effacer tous les indices
de leur collaboration à l’Holocauste. El País a reconstruit
cette histoire et montre le document qui prouve l’ordre antisémite de Franco ».
Cet article se fonde en fait sur quatre pages publiées douze ans plus tôt, dans
la revue Raices, par le président de la Fédération des communautés
juives d’Espagne, directeur général du groupe Shlumberger-Sema-Espagne, Jacobo Israel
Garzón. En 1997, dans « Le fichier juif du franquisme », Jacobo Israel avait
divulgué l’existence d’une circulaire émanant de la Direction générale de
sécurité, datée du 5 mai 1941, qui ordonnait aux gouverneurs civils provinciaux
d’envoyer des informations sur tous les juifs nationaux et étrangers vivant sur
leur territoire. Ce document, qui incitait à la création d’un « fichier
judaïque », provenait du gouvernement civil de Saragosse et avait été trouvé
dans l’Archivo Histórico Nacional.
Depuis sa révélation, la circulaire de
1941 n’a pas manqué de soulever bien des questions. Quelle fut la répercussion
pratique du fichier ? L’initiative de sa création relevait-elle du gouvernement
ou des autorités policières ? Dans quelle mesure les gouverneurs civils
suivirent-ils les instructions reçues ? Combien de personnes furent incluses
dans ce fichier ? Les explications qu’apporte l’historien-journaliste d’El
País sont simplistes. Le fichier aurait été totalement détruit à la
fin de la Deuxième Guerre mondiale et seules quelques fiches individuelles nous
seraient parvenues. Il aurait contenu au moins 6.000 fiches individuelles parce
que ce chiffre figure dans le dénombrement par pays de la population juive du
Protocole de Wannsee (20 janvier 1942). Il en résulterait, toujours selon le
rédacteur d’El País, qu’il est « vraisemblable » que José Finat,
l’ancien directeur général de la sécurité espagnole, plus tard ambassadeur à
Berlin, ait remis l’ensemble du fichier au Reichsführer de la SS, Himmler.
Un tissu de conjectures qui repose sur
une part de réalité, mais qui n’en reste pas moins hypothétique. Qui
prétendrait impliquer les autorités anglaises dans l’Holocauste uniquement
parce que le nombre de juifs du Royaume-Uni a été mentionné lors de la
conférence de Wannsee ? L’historien-journaliste d’El País semble ignorer que le chiffre de 6.000 juifs était du
domaine public dans la Péninsule bien avant les faits qu’il relate. En 1933, la
presse madrilène faisait état d’une communauté juive espagnole de 5.000
personnes. En 1934, elle dénombrait près de 1.000 réfugiés politiques
allemands, juifs ou non juifs, un chiffre d’exilés politiques que le rédacteur
d’El País ne mentionne pas. Et pour cause ! Il détruit à lui seul
le mythe d’une République accueillante dont le gouvernement de libéraux de
gauche et de socialistes aurait reçu à bras ouverts les réfugiés juifs du
Reich. La République espagnole avait, au contraire, réinstauré, avant les
élections de novembre 1933, l’obligation du visa pour les Allemands afin de
freiner l’immigration juive, ou plutôt, comme on préférait dire à l’époque, «
pour éviter une saturation du marché du travail ». Cela dit, il est très
improbable que la totalité des 6.000 juifs soit restée sur le territoire
espagnol après la victoire du camp national (il y eut pas moins de 430.000
exilés à la fin de la guerre civile : 270.000 qui passèrent et repassèrent la
frontière en quelques semaines et 160.000 qui furent les exilés permanents).
Autre omission de taille du rédacteur d’El
País : il ignore l’existence de la communauté juive nord-africaine du
protectorat marocain espagnol. Cette communauté de plus de 15.000 personnes,
bien plus importante que celle de la Péninsule, avait pris majoritairement
parti pour Franco et le camp « national » pendant la guerre civile. Une
proportion considérable de juifs militants ou sympathisants communistes avait
combattu dans les rangs des Brigades internationales, « courroie de
transmission de Staline » (peut-être 7 à 10% de l’effectif total) et la
majorité de la communauté juive internationale s’était prononcée en faveur de
la gauche et de l’extrême gauche, mais le soutien des juifs au Front populaire
n’avait pas été aussi massif et uniforme que le prétend la légende. Au
lendemain de la guerre civile, la communauté juive du protectorat marocain
était considérée sûre et fidèle par le Nouvel Etat, alors que celle de la
Péninsule était jugée, à tort ou à raison, hostile et potentiellement menaçante
La répression franquiste de l’immédiat
après-guerre (50.000 condamnés à mort, dont 30.000 exécutés, et 270.000
personnes incarcérées en 1939, chiffre qui s’élevait encore à 43.000 en 1945) fut
suffisamment dure et effrayante pour ne pas avoir besoin d’être inventée ou
exagérée.
Il est évident que, dans le cas d’une
occupation allemande de l’Espagne, un « fichier juif » aurait été
particulièrement dangereux pour les juifs. Confondre l’histoire virtuelle,
celle d’une entrée de l’Espagne dans la guerre mondiale et d’une collaboration
de Franco et de son régime à l’Holocauste, telle qu’elle aurait pu être, avec
l’histoire réelle, celle d’un Franco qui maintint l’Espagne en dehors de la
guerre mondiale et qui permit la protection de dizaines de milliers de juifs,
relève au mieux de la bêtise, au pire de la malhonnêteté intellectuelle. Antisémite ou philo-séfarade ? Quelle
était donc la véritable attitude de Franco ? Avant de répondre, revenons au
réalisme des faits. Les juifs et le judaïsme n’étaient pas des ennemis déclarés
du généralissime. Ses ennemis jurés étaient le communisme soviétique, dans sa
version stalinienne, et la franc-maçonnerie. Sa position à l’égard des juifs
était beaucoup plus ambiguë. Il n’avait pas de sympathie pour la communauté
juive internationale. Il voyait même dans les juifs des ennemis traditionnels
des intérêts de l'Espagne depuis leur expulsion par les Rois catholiques. Avec
les protestants, il les tenait pour des propagateurs de la « légende noire »
antiespagnole. Mais pour autant, jamais il ne persécuta le judaïsme espagnol ou
les juifs séfarades. Jamais il ne harcela, ni ne poursuivit les juifs, comme il
le fit avec les communistes et les francs-maçons. Des lois furent adoptées par
son régime pour permettre la poursuite et la répression des vaincus, mais les
juifs et le judaïsme ne firent l’objet d’aucune attention particulière. Il en
fut ainsi de la Loi de responsabilités politiques (1939), de la Loi pour la
répression de la maçonnerie et du communisme (1940) et de la Loi pour la
sécurité de l’Etat (1941). Les juifs devaient s’inscrire à la police et
déclarer leur profession et leur religion comme tous les citoyens du Nouvel
Etat. Mais aucune de ces lois répressives ne les cita.
Du point de vue de Franco, les juifs
séfarades étaient différents des autres juifs parce qu’ils étaient en quelque
sorte sublimés par le contact de la culture ibérique. Son antisémitisme
politique (et non pas raciste, ni même religieux) au niveau international se
conjuguait chez lui curieusement avec un philo-séfaradisme à l’échelon
national. Le jeune commandant puis lieutenant-colonel de la Légion avait eu des
relations très cordiales avec les juifs du Maroc espagnol. Les principaux
dirigeants, hommes d'affaires et banquiers de la communauté juive du territoire
sous protectorat avaient apporté un précieux soutien économique et matériel au
général rebelle en 1936. Ils avaient mis à sa disposition des moyens
économiques et financiers, mais aussi tout un réseau de contacts essentiels
dans la gestion des achats de matériel. La grande majorité des juifs de la zone
espagnole du Maroc, mais aussi des juifs du nord de l’Italie et le secteur du
sionisme que dirigeait Vladimir (Ze’ev) Jabotinsky avaient aidé le camp
national. Franco leur en était très reconnaissant. Après-guerre, des auteurs
prétendirent que cette aide avait été extorquée, mais jamais ils n’expliquèrent
pourquoi le généralissime manifestait si ouvertement sa gratitude envers la
communauté juive du protectorat, récompensant et décorant certaines de ses
personnalités les plus représentatives. Le cas du banquier Salama, ami déclaré
du Caudillo, est à cet égard emblématique. Pendant la guerre civile, parmi les
généraux soulevés, Gonzalo Queipo de Llano, un officier supérieur célèbre pour
avoir comploté en faveur de l’avènement de la République et par ailleurs
farouchement opposé aux phalangistes, se fit remarquer par de véhémentes
diatribes antisémites sur les ondes de l’Union Radio Séville. Franco prit soin
d’avertir ses amis juifs nord-africains de ne pas lui faire cas. Dans
l’immédiat après-guerre civile et au cours des premières années de la Deuxième
Guerre mondiale, le Caudillo proféra néanmoins lui aussi de virulentes
critiques. Mais elles furent peu nombreuses. L’exemple le plus connu est son
allusion à « l’esprit judaïque qui permit l’alliance du grand capital et du
marxisme » dans le discours du 19 mai 1939, à Madrid, à l’occasion du défilé de
la victoire. Hormis deux ou trois autres allusions semblables, Franco ne s’étendit
pas sur la question. Dans les années 1939-1942, pour satisfaire les autorités allemandes,
il toléra la propagande antisémite dans l’édition, la radio et la presse
écrite, mais dans le même temps il fit à nouveau savoir à ses amis de la
communauté juive nord-africaine qu’ils ne devaient pas se sentir concernés.
Paradoxalement, en 1940, dans la période
théoriquement la plus « antisémite » du régime, Franco créa à Madrid et à
Barcelone l’Institut d’études hébraïques Benito Arias Montano, qui depuis 1941
édite l’une des meilleures publications juives du monde, la revue érudite Sefarad,
subventionnée par l’Etat espagnol. Pendant la Deuxième Guerre mondiale les
antisémites radicaux existaient bien en Espagne, mais ils n’étaient pas
suffisamment nombreux pour provoquer le rejet des juifs de la part de la
population, pas plus que les philosémites n’étaient suffisamment puissants pour
promouvoir une politique plus généreuse à leur égard. A l’intérieur du
Movimiento de Franco, un parti hétérogène, refondé en 1937 à partir de la
Phalange de José Antonio Primo de Rivera, de la Communion traditionaliste et de
tous les partis de droite ou du centre, les antisémites radicaux ne représentaient
qu’une petite minorité. Pour leur part, les autorités nationales-socialistes
allemandes se plaignaient régulièrement parce que des personnalités
philosémites occupaient des postes clés dans le gouvernement, le parti et la
haute administration. Quant aux Espagnols les plus philo-nazis, tel l’agent de
l’Abwehr, Ángel Alcázar Velasco, ils faisaient courir le bruit que Franco et
même les fondateurs et intellectuels de la Phalange originelle : Primo de
Rivera, Sanchez Mazas, Ledesma Ramos, Aparicio, Ros, Montes, etc., avaient tous
des noms de « descendants de convertis » et étaient « juifs par leur mystique
et leur tempérament ».
A l’inverse, le véritable leitmotiv du
dictateur Francisco Franco était la conspiration maçonnico-communiste
internationale. Il est symptomatique que son livre Masoneria (1950)
débute par ces mots : « Tout le secret des campagnes de propagande déclenchées
contre l’Espagne repose sur deux mots : maçonnerie et communisme ».
L’anticommunisme et l’antimaçonnisme primaient chez lui sur toutes autres
considérations. Il avait été un lecteur assidu du bulletin de l’Entente
internationale contre la IIIe Internationale dès le début des années
1930. Il s’était abonné personnellement à cette publication, centrée sur
l’expansion mondiale du communisme, à partir de 1934. Pour lui, le communisme
était le plus terrible danger de la civilisation chrétienne, le principal fléau
de l’humanité. Son anticommunisme radical explique sa politique de neutralité
amicale envers l’Allemagne et sa décision d’envoyer des hommes sur le front de
l’Est. La División Azul était à ses yeux la réplique hispanique aux Brigades
internationales de Staline. Sa seconde obsession était le rôle et l’action de
la franc-maçonnerie dans l’histoire de l’Espagne. Il y voyait une sorte de «
super-Etat », une société internationale, secrète, à l'influence occulte et
pernicieuse, une menace permanente pour la nation espagnole, la cause
principale des désastres de la Péninsule depuis plus d’un siècle. Ses
déclarations, ses discours, ses articles (publiés sous les pseudonymes de Jakim
Boor, Macaulay ou Jaime de Andrade) ne laissent pas de place au doute. Jusqu’à
sa mort, ses convictions anticommunistes et antimaçonniques demeurèrent fermes,
indéracinables. Il en fit deux des piliers idéologiques de son régime. L'historien
qui ne retiendrait chez Franco que ses quelques propos antisémites et qui
prétendrait expliquer par eux la politique et l'idéologie de son régime
sombrerait dans la caricature. Le Caudillo fut, en effet, l'un des très rares
chefs d'Etat qui protégea les juifs d'Europe pendant la Deuxième Guerre
mondiale. De très nombreuses personnalités politiques et intellectuelles juives
en ont témoigné et ont manifesté leur reconnaissance pour son action
salvatrice.
L'historien Shlomo Ben Ami, ex-ministre
des Affaires étrangères d'Israël, a souligné le paradoxe et la singularité de
la position du Caudillo. Conservateur et pragmatique, le dictateur, si souvent
étiqueté « fasciste », fit pour les juifs ce que les principaux leaders des
démocraties ne purent ou ne voulurent pas faire. L'Espagne franquiste sauva,
selon les sources, entre 25 et 60.000 juifs d'Europe. Rares, pour ne pas dire
exceptionnels, furent les cas de juifs réfugiés en Espagne expulsés ou
reconduits aux frontières pendant la durée du conflit. Dès novembre 1940, le
gouvernement de Franco recommanda aux juifs séfarades qui résidaient en France
de se déclarer espagnols pour éviter les poursuites. Le Caudillo utilisa, comme
fondement juridique de sa position, le décret-loi de 1924, signé par Alphonse
XIII sur la suggestion du général dictateur Miguel Primo de Rivera. Ce texte de
loi permettait aux juifs séfarades de s'inscrire en tant qu’Espagnols dans
n'importe quel consulat ou ambassade, sans conditions ni limites. A partir de
1942, le gouvernement espagnol franchit une nouvelle étape. Il concéda très
largement aux juifs d’Europe passeports et visas pour échapper aux persécutions
antisémites des divers pays qui collaboraient avec l'Allemagne
nationale-socialiste. Les diplomates, ambassadeurs et consuls espagnols de
Berlin, Paris, Marseille, Athènes, Copenhague, Vienne, Belgrade, Bucarest,
Budapest, Sofia, etc., intervinrent pour faire valoir les droits de leurs
nouveaux ressortissants. Octroyée en priorité aux juifs séfarades, la
protection fut même souvent étendue à des ashkénazes. Au cours des vingt dernières
années, divers auteurs ont dénoncé la prétendue action humanitaire du Caudillo
comme relevant de la manipulation, de la désinformation et de la réhabilitation
du franquisme. Selon eux, Franco ne se serait pas du tout intéressé au sort des
juifs. Le mérite reviendrait exclusivement à quelques diplomates qui auraient agi
dans le dos de leurs supérieurs. Les déclarations de ces derniers, qui
minimisent leur rôle au bénéfice de Franco, auraient toutes été forcées et
contraintes. Celle de l’un des plus prestigieux, Ángel Saenz Briz, alors consul
général à New York, témoigne en tout cas des qualités hors pair d’un grand
serviteur de l’Etat. Interrogé en 1963 par l’historien israélien Isaac Molho au
sujet du sauvetage de juifs hongrois, il conclut sa lettre-réponse par ces mots
: « Nous pûmes loger plusieurs milliers de juifs pourchassés dont je peux
affirmer avec fierté qu’ils doivent la vie au général Franco… Et ceci est tout
ce que je peux dire. Si mon récit est utile de quelque façon, je vous demande
de l’utiliser sans mentionner mon nom car je n’ai aucun mérite à cela, m’étant
limité à exécuter les consignes de mon gouvernement et du général Franco ».
Fait chevalier et commandeur de l’Ordre d’Isabelle la Catholique, Sanz Briz
poursuivra une brillante carrière de diplomate qu’il terminera comme
ambassadeur d’Espagne en Chine puis auprès du Saint-Siège.
L'aide
de Franco ou de son régime aux juifs d'Europe, pendant la Deuxième Guerre
mondiale, est un fait historiquement établi. Fut-elle apportée sans
enthousiasme ni sympathie ? Relevait-elle de la compassion du catholique
convaincu ? S’agissait-il d’un geste opportun pour se concilier l’assistance
économique des Etats-Unis ? Le Caudillo se sentait-il en réalité plus proche
des arabo-musulmans dont la majorité des leaders marocains lui avait aussi
apporté un précieux soutien lors du soulèvement ? Se considérait-il avant tout
redevable envers ses compagnons d'armes arabo-musulmans, en particulier son ami
le général Mohamed Ben Mezian Belkacem ? Eprouvait-il de la rancune à l’égard
des organisations sionistes mondiales qui avaient affiché leur sympathie pour
le gouvernement du Front populaire ? Donna-t-il des instructions exprès à ses
diplomates pour protéger les juifs ? A-t-il seulement fermé les yeux ou
consenti tacitement à leur action ? Autant de questions qui restent ouvertes au
débat. Cela étant, les faits demeurent. Directement ou indirectement, Franco
aida les juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale dans des moments particulièrement
cruels pour eux. Il renouvela d’ailleurs sa protection consulaire, en 1948, au
bénéfice des juifs de Grèce, puis, lors de l'exil massif des juifs du Maroc
(1954-1955) et il le fit encore pendant l'affaire de Suez (1956) et lors de la
guerre des Six Jours (1967).
A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le
Congrès juif mondial exprima sa reconnaissance envers le gouvernement espagnol
« pour ses efforts » mais, en 1949, Israël vota contre la suspension des
sanctions et contre l'entrée de l'Espagne à l'ONU. Le Caudillo accusa le coup,
mena une politique pro-arabe et refusa de reconnaître l'Etat d'Israël. Au
lendemain de sa mort, le 22 novembre 1975, un service funèbre fut célébré à sa
mémoire dans la principale synagogue hispano-portugaise de New York, en
présence de représentants de The American Sephardi Federation, «
pour avoir eu pitié des juifs ». Plusieurs diplomates espagnols, dont les
sympathies franquistes sont insoupçonnables, tel le chargé d'affaires à
l'ambassade de Budapest, Ángel Sanz Briz, déjà cité, mais aussi le premier
secrétaire d’ambassade à Paris, puis, consul à Bordeaux, Eduardo Propper de
Callejón, ou le chargé d’affaires à l’ambassade de Berlin, José Ruiz Santaella
et sa femme Carmen Schrader ont été honorés par le Mémorial Yad Vashem comme «
Justes parmi les nations ». Il est hors de doute que le dictateur, dont
la vox populi disait qu’ « une mouche ne pouvait pas voler
sans qu’il le sache », était au courant de la protection que ces derniers
accordaient aux juifs en pleine tourmente.
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