Je me souviens parfaitement de ce samedi matin qui venait clôturer notre Semaine consacrée à la Convivance dans l'Espagne des Trois Cultures. Un programme extrêmement riche avait été offert aux étudiants de CPGE mais aussi à l'ensemble des classes du Secondaire intéressées: conférences par des historiens, linguistes, scientifiques, médecins... concerts et représentations théâtrales... ciné-club. Un menu de très grande tenue.
C'est Max Martin, un de mes anciens Khâgneux, aujourd'hui professeur de Lettres dans notre Lycée, qui avait accepté de traiter ce sujet que je lui proposais autour du Voyage en Espagne des auteurs français du XIXème siècle.
Je retrouve son texte et vous le livre, il est précieux, faites-en bon usage.
-
Espagne orientale, Espagne andalouse traversée,
vécue ou imaginée, fantasmée ?
-
La création du mythe de l’Espagne de la
convivance et plus particulièrement de l’Espagne christiano-musulmane
-
La peinture des lieux : lorsque l’architecture
et les paysages évoquent le paradis perdu
-
L’Andalousie est pour eux l’incarnation du
syncrétisme des trois cultures et de cette Espagne des 3 religions, avec
particulièrement une fascination admiration pour Grenade
-
Les différences de traitement, notamment au
niveau des religions pour Hugo et Chateaubriand
-
Evocation de l’histoire de la Reconquête et
surtout du moment où les Maures ont perdu l’Espagne : relate opposition
è modèle de syncrétisme culturel, brillante
civilisation au niveau architectural ; au niveau des arts et des sciences
è intertextualité à propos de Grenade entre
Chateaubriand et Hugo à propos de l’Alhambra
è importance de la danse et du chant
è Gautier apporte nuance à description traditionnelle
de l’Alhambra page 273-274 : beau mais rien de grandiose, et n’est pas
aussi merveilleux que l’on pourrait se l’imaginer mm si ensuite il en fait
l’éloge y compris dans ces poèmes è aussi importance de la représentation qu’on en a
Introduction :
a)
Présentation de la trame des 3 œuvres
étudiées :
-
Voyage en Espagne et España de
Théophile Gautier : du 5 mai au 7 octobre 1840, Théophile Gautier découvre
l’Espagne. Ce séjour de six mois lui fournit la matière de son Voyage en
Espagne (1843), sorte de carnets de voyage et d’impressions, marqués par la
fraîcheur du regard, l’étonnement de la vision et le souci prégnant de la
justesse du dire. Ce voyage et ces découvertes de l’Espagne donnent lieu à de
nouveaux vers dans España, recueil de poèmes centrés autour des
différentes étapes de son voyage, qui paraissent dans le recueil des Poésies
complètes en 1845.
-
Les Orientales de Victor Hugo sont un
recueil de 41 poèmes, publié en 1829. Victor Hugo
avait une certaine fascination pour l'Orient
, sa culture et ses moeurs. L'auteur rassemble dans ce recueil tous les poèmes
qui s'y rapportent, et en particulier un cycle de poèmes consacrés à l’Espagne.
Cette Espagne qu’il chante est celle qui garde la trace de cette convivance
historique entre musulmans, juifs et chrétiens, c’est cette Espagne qu’il admire
et qui le fascine.
-
Les Aventures du dernier Abencérage de
François René de Chateaubriand. L’histoire qui nous est narrée est une histoire
d’amour dans cette Espagne qui vient à peine d’être totalement reconquise par
les Rois Catholiques aux musulmans. Un jeune prince maure, Aben-Hamet, revient
en Espagne, là où sont morts ses ancêtres, pays qu’il ne connaît pas. Il se
recueille sur les lieux où ils étaient et pleure ce paradis perdu par les
Maures. Au cours de ses errances dans Grenade, il rencontre une sublime jeune
femme, Blanca. Elle est chrétienne, lui est musulman, leur amour est
impossible. C’est tout cela dont ils prennent conscience au pied de l’Alhambra.
b)
Pourquoi ces trois œuvres ?
Toutes traversées par le mythe de l’Espagne des Trois Cultures.
A chaque fois, les auteurs sont fascinés par cette civilisation dont on ne
conserve plus que les traces et qui appartient à une époque révolue.
c)
Problématique : Comment ces trois
œuvres accomplissent-elles la réalisation littéraire du mythe de l’Espagne des
Trois Cultures comme idéal de syncrétisme ?
d)
Plan
I)Quelle Espagne ? Espagne orientale, Espagne
andalouse traversée et vécue ou imaginée et fantasmée ?
1)
L’Espagne qui imprègne l’œuvre des trois
auteurs : l’Espagne des Trois Cultures au temps de la domination des
Maures (rappel historique bref ; dates Espagne mauresque ; où en
Espagne ; à quelle époque plus précise les œuvres font référence parfois)
è
L’Espagne qui imprègne les trois œuvres est celle de l’Espagne musulmane,
l’Espagne des Trois Cultures.
à
pas rappel historique mais c’est l’Espagne conquise par les arabo-musulmans
entre 711 et 1492, date à laquelle les rois catholiques conquiert le dernier
royaume musulman, celui de Grenade. L’Espagne qui les fascine est donc celle
qui a vu coexister les trois grands monothéismes que sont l’Islam, le Judaïsme
et le Christianisme au Moyen-Age dans Al Andalus, cette Espagne musulmane
dominée par les Maures.
è
l’époque à laquelle les œuvres font référence est celle-ci, l’Espagne des Trois
Cultures
à pour Dernier Abencérage : Il situe
l’intrigue de sa nouvelle à Grenade au début du XVIe siècle lorsque les Rois Catholiques
Isabelle et Ferdinand ont conquis depuis longtemps le sud de l’Espagne après
avoir chassé la dynastie mauresque des Nasrides, responsables du massacre des
Abencérages, dont le héros est le
dernier descendant même si lui est né dans les environs de Tunis sur le lieu
des « ruines de Carthage ». Mais imprécision temporel car il nous est
dit que se déroule « 24 » ans
après la prise de Grenade soit en 1516. Or il dit que François Ier a été vaincu
à Pavie et qu’il est détenu en Espagne soit en 1525 :
1525 : 24.2. François
Ier prisonnier à Pavie, emmené à Madrid. Louise de Savoie régente.
1526 : 15.3. François
Ier est échangé au milieu de la Bidassoa contre ses fils (François 8 ans et
Henri 7 ans, qui resteront captifs 4 ans, jusqu'au remariage de leur père avec
Éléonore, sœur de Charles Quint)
à
pour Victor Hugo les époques sont multiples : il évoque tantôt le début de
l’Espagne musulmane avec « Romance Mauresque » car parle de Rodrigue
de Lara, roi de l’Espagne wisigothe qui lutta contre le fils du précédent roi
et fut à l’origine de la guerre civile qui amène les Maures en Espagne,
d’autres n’ont pas d’époque précise mais pendant époque musulmane, d’autre
pourraient être au présent.
à
Quant à Gautier se sont des poèmes qui décrivent l’Espagne contemporaine de
Gautier hormis « Le soupir du More » qui reprend l’épisode du roi
Boabdil fuyant Grenade et jetant un dernier regard sur la ville
è
Mais toutes œuvres se concentrent sur l’Espagne dominée par les Maures, ou ce
qu’il reste de cette Espagne
è
tout d’abord cette Espagne musulmane ne vaut pas pour toute l’Espagne puisque
au Nord-Ouest on avait des royaumes chrétiens et les Pyrénées orientales et le
région de Barcelone sont vite aux mains des chrétiens également
è
mais l’Espagne qui préoccupe les trois auteurs c’est avant tout l’Andalousie.
à Théophile Gautier dans Voyage en Espagne lui
évoque tout le territoire espagnol puisqu’il narre le voyage par lequel il
descend vers le sud puis remonte vers France mais en ce qui concerne España
ce sont principalement des poèmes qui se passent en Andalousie de la région du
sud de l’Espagne où se trouve Séville, Grenade, Cordoue …
à Pour Chateaubriand et Victor Hugo, c’est quasi
uniquement l’Espagne andalouse puisque les Aventures du dernier Abencérage
se déroulent dans la ville de Grenade et pour Victor Hugo l’Espagne qu’il nous
décrit est celle du Sud, on peut songer particulièrement au poème intitulé
« Grenade »
2)
L’Espagne de T. Gautier et F.R. de
Chateaubriand : une Espagne vécue dans des voyages et des récits de
visions : page 43 (Av.Der.Aben.)
è
l’Espagne qui est peinte dans les deux œuvres a été vécue par les deux auteurs
puisque tous deux ont traversé l’Espagne à un moment donné
è
Chateaubriand a visité l’Espagne. Attiré par l’Orient et prétextant un voyage
religieux entre 1806 et 1807. Chateaubriand
partait de Venise pour entreprendre un grand pèlerinage culturel et religieux
qui l’emmena sur les ruines de la Grèce, en Terre Sainte, en Égypte, en Tunisie
et finalement en Espagne, notamment en Andalousie et à Grenade. Ce voyage lui
fournit la matière pour son livre Itinéraire de Paris à Jérusalem en
1811. Les Aventures sont en qlq sorte complément publié en 1826 car n’évoquait
pas le retour en Espagne dc corrige : « On m’a reproché de n’avoir
presque rien dit de l’Espagne dans l’Itinéraire. […] Je publie donc
aujourd’hui Les Aventures …comme une espèce de supplément à l’Itinéraire,
et pour réparer l’omission dont on m’a fait reproche. »
Il connaît donc l’Espagne et se sert de ce qu’il a vu des
restes de la civilisation musulmane pour nourrir ces descriptions et ces
paysages. Mais c’est surtout grâce à Voyage pittoresque en Espagne d’Alexandre
Laborde qu’il peut donner descriptions si précises, frère de Nathalie de
Noailles qu’il aimait et avait retrouvée en Espagne. Toutefois cela ne
l’empêche pas de céder à l’idéalisation d’un monde, d’une époque qu’il n’a pas
connue.
èQuant
à Gautier, c'est le récit d'un voyage accompli par l'auteur en 1840 en Espagne.
L'écrivain a parcouru toute l'Espagne, de la Bidassoa aux bouches de l'Ebre, en
passant par Valladolid, Madrid, Séville, Cordoue et Grenade. L'Espagne du Sud
surtout l'a ravi, avec son ciel éclatant, sa sierra sauvage, ses senteurs
africaines, ses fantastiques décors de l'Alhambra et du Généralife. Il nous
décrit donc une Espagne qu’il a vue de ses yeux et toutes les traces de la
civilisation arabo-musulmane qu’il a pu observer. Il est enchanté par cette
vision mais ce qu’il nous décrit se veut juste le plus possible et il veut
éviter la mythification :
-Chapitre XI du Voyage en
Espagne « Nous devons prévenir nos lecteurs, qui pourraient
trouver nos descriptions, quoique d’une scrupuleuse exactitude, au-dessous de
l’idée qu’ils s’en sont formée [de l’Alhambra], que l’Alhambra […] n’a pas le
moins du monde l’aspect que lui prête l’imagination. »
Il souhaite donc une description
la plus vraie possible ce qui ne l’empêche pas de témoigner une certaine admiration
pour ce qu’il décrit.
3)
L’Espagne orientale de Victor Hugo : un
merveilleux espace fantasmé
è
Victor Hugo se démarque car il ne connaît pratiquement pas l’Espagne, tout au
moins pas l’Espagne du Sud dont l’Andalousie qu’il n’a jamais vue à l’époque où
il compose Les Orientales (1829).
à
En 1810, le général Hugo, qui a rejoint Joseph Bonaparte devenu roi d’Espagne
est nommé gouverneur de plusieurs provinces. L’année suivante, Sophie et ses
enfants se rendent à Madrid. Ce voyage marque profondément Victor Hugo. A son
arrivée, la famille est logée dans le Palais Masserano. Sur ordre de leur père,
Eugène et Victor sont mis en pension au Collège des Nobles. Abel entre chez les
pages du Roi. La famille revient en France en mars 1812, au moment où les
Français doivent quitter l’Espagne.
à
Le recueil est marqué par l’enthousiasme pour l’Orient, et particulièrement
l’Espagne orientale. Mais l'Orient y est surtout ‘fantasmatique', fantasmé, et
la part revenant à l'Espagne andalouse (qu'il n'a pas visitée) et très
importante et tout aussi imaginaire, ou tout au moins idéalisée. En elle, se
mêlent l'Orient et l'Occident, c’est cela qui fascine Hugo et le conduit à
rêver cette Espagne qu’il admire.
II)L’inscription dans une histoire tourmentée : la
permanence des oppositions et des conflits, une Espagne divisée
1) La question religieuse : les
différences de traitement. Entre convivance parfaite chez Hugo et antagonismes
insurmontables chez Chateaubriand
è
Bien que parfois fantasmée, cette Espagne n’apparaît non plus parfaitement unie
et ne semble pas avoir fait disparaître radicalement toutes les oppositions entre
ces trois cultures et en particulier ces trois religions dont la coexistence
n’est pas toujours aussi facile que l’on pourrait le croire.
Ces trois auteurs n’omettent pas cet aspect
conflictuel bien qu’il demeure minime dans leurs œuvres hormis dans celle de
Chateaubriand qui met en avant des oppositions irréductibles.
è
La question religieuse et les problèmes que suscite la coexistence des trois
monothéismes ne sont pas traités de la même manière en particulier chez Chateaubriand
et chez Victor Hugo.
à
En effet, les différences religieuses agissent chez Chateaubriand comme des
barrières qui malgré tous les efforts des uns et des autres demeurent
insurmontables. Dès le début de la nouvelle, l’impossibilité de la relation entre
Aben-Hamet et Blanca est énoncée :
« Blanca se trouva bientôt engagée dans une
passion profonde par l’impossibilité même où elle crut être d’éprouver jamais
cette passion. »
à
Tous deux envisagent une seule solution pour que leur relation puisse
perdurer : la conversion de l’un à la religion de l’autre. Pourtant ni
Aben-Hamet ni Blanca ne consentent à abandonner leur religion et à se convertir
par amour :
« Musulman, je suis ton amante sans
espoir ; chrétien, je suis ton épouse fortunée. […] Chrétienne, je suis
ton esclave désolé ; musulmane, je suis ton époux glorieux. »
è
ainsi leur situation les conduit à une impasse indépassable, même à la fin
lorsque Aben-Hamet songe à abandonner sa foi pour se convertir et épouser
Blanca, l’appartenance de Blanca à la famille de ses ennemis le conduit à s’en
remettre à Blanca, et est moins sûr de sa conversion. C’est cette appartenance
à deux famille ennemies, les Bivars et
les Abencerages qui poussent ensuite Blanca à prononcer ses paroles :
« Retourne au désert ! ».
è
Les oppositions religieuses semblent donc très fortes et véritablement
indépassables.
è
En revanche, chez Victor Hugo, ces oppositions semblent nettement moins marquées.
Les antagonismes des fois peuvent être dépassés et même oubliés. Dans le poème
« Sultan Achmet » le traitement de l’interdit religieux est
radicalement différent.
Le sultan s’adresse à « Juana la Grenadine »
et lui demande de l’épouser mais Juana pose une condition, qu’il devienne
chrétien.
- Fais-toi chrétien,
roi sublime !
Car il est illégitime,
Le plaisir qu'on a cherché
Aux bras d'un Turc débauché.
J'aurais peur de faire un crime :
C'est bien assez du péché.
- Par ces perles dont la chaîne
Rehausse, ô ma souveraine,
Ton cou blanc comme le lait,
Je ferai ce qui te plaît,
Si tu veux bien que je prenne
Ton collier pour chapelet.
è
ici l’interdit religieux est traité de manière beaucoup plus anodine, comme s’il
ne s’agissait pas d’un interdit véritable et insurmontable, le sultan est prêt
à se convertir pourvu qu’il puisse l’épouser, or la conversion est interdite à un musulman.
à
Prouve également que Victor Hugo pense une Espagne orientale très fantasmée.
Les barrières religieuses n’existent pas pour lui et c’est cela qui le fascine
dans cette Espagne.
à
Mais c’est largement un idéal.
2)
La
persistance de la nostalgie de l’Espagne perdue par les Maures : les
conflits christiano-musulmans : chez les trois auteurs : page
70, 78
è
chez les trois auteurs, l’on constate la persistance des oppositions entre les
peuples, en particulier entre chrétiens et maures pour des raisons historiques.
à
la lutte que mènent les chrétiens pour reconquérir l’Espagne et la reconquête
réussie contre les arabo-musulmans entraînent des conflits indépassables et qui
ne disparaissent pas.
è
En particulier, ils évoquent la rancœur des maures contre les chrétiens après
qu’ils aient perdu l’Espagne à pour eux ils leur
ont volé leur paradis, leur territoire.
à
Quant aux chrétiens, ils n’oublient pas ce qui les a opposés et ce qui les
oppose encore aux musulmans et ce qui a
conduit à une guerre entre les deux peuples.
à
Les conflits semblent toujours indépassables et les oppositions indéniables.
è
Ces oppositions sont visibles chez Hugo dans « Romance Mauresque »,
chez Gautier dans « Le soupir du More » et dans Les Aventures.
à
le poème d’ Hugo met en évidence la rivalité des deux peuples à travers deux
personnages Don Rodrigue de Lara, roi chrétien et le Mudarra, qui « commande
une frégate du roi Maure Aliatar ».
Don Rodrigue recherche le Maure pour le tuer car il a
tué des membres de sa famille et parce qu’il soutient le roi maure.
L’antipathie à son égard est évidente et va mm jusqu’à la haine de l’autre
parce qu’il est radicalement différent : il l’appelle le « bâtard »
et insiste sur sa qualité de chrétien et sur le soutien de Mudarra aux Maures
pour le tuer : « Oui par mon âme chrétienne / d’une autre main que
la mienne / ce mécréant ne mourra. »
à
en même temps Hugo crée des liens de parenté qui unissent les deux hommes comme
pour faire de l’alliance des musulmans et des chrétiens le mythe originel de
l’Espagne.
à
Mais ces alliances sont ici tragiques car la rencontre s’achève par la mise à
mort de Don Rodrigue.
è
Victor Hugo souligne les appartenances
différentes de ces deux hommes et les allient dans une mm famille en mm tps
qu’il montre leurs oppositions comme ici indépassables.
è
C’est un peu le mm schéma que l’on retrouve chez Chateaubriand notamment à la
fin lorsqu’ Aben-Hamet apprend que Blanca appartient à la famille chrétienne
qui a tué tant de maures. Les oppositions sont indépassables et les conflits mm
anciens demeurent dans les mentalités.
Tout au long de la nouvelle, les personnages se
témoignent d’un respect en tant qu’hommes de valeur et de haute naissance mais
en même temps ils se méprisent car appartenant à deux peuples de religions
différentes et qui se sont fait la guerre.
à
On perçoit soif de vengeance et rancœur Abencérage dans son chant final :
« Un
Chrétien maudit, / d’Abencérage / tient l’héritage : / c’était
écrit ! »
àmais
cette haine est aussi celle des chrétiens pour l’Abencérage, ainsi Don Carlos
vaincu s’écrie dans un accès de rage : « Frappe, Maure, frappe.
Carlos désarmé te défie, toi et toute ta race infidèle. »
è
ni les uns ni les autres ne peuvent oublier qu’ils se sont combattus et qu’il
s’opposent par de nombreux points. Les arabo-musulmans ne peuvent oublier que
les chrétiens leur ont repris l’Espagne, d’où un désir de vengeance
ineffaçable.
« Lorsque je
vins la première fois visiter cette triste patrie, j’avais surtout pour dessein
de chercher quelque fils des Bivars, qui pût me rendre compte du sang que ses
pères avaient versé. »
à
ce sentiment de perte et de vengeance est perceptible également dans le poème
de Gautier : Boabdil pleure sa patrie prise par les maudits
chrétiens :
« Fondez, mes
yeux, fondez en larmes !
Soupirs profonds
venus du cœur,
Soulevez l’acier de
mes armes :
Le Dieu des
chrétiens est vainqueur ! »
III)L’Espagne orientale et l’idéal de syncrétisme :
la mythification d’un âge d’or disparu
A) L’Espagne musulmane comme un
modèle de convivance et le choix de l’Andalousie
1)
L’Andalousie idyllique : pourquoi cette
fascination, quelles évocations, que représente-t-elle ?
è
Pour Chateaubriand et Gautier, description des paysages animée de l’émotion des
écrivains quand découvrent cette Espagne musulmane ou plutôt les traces de
celle-ci et de la force des visions qu’ils ont pu conservé de leur séjour.
èL’Andalousie
est la plus emblématique de cette Espagne orientale qui fascine les écrivains
car c’est celle qui en garde le plus de traces aussi car elle fut la dernière à
rester aux mains des Maures.
à
Au croisement des civilisations, l’Andalousie est modèle de syncrétisme
culturel, les monuments et les lieux sont à la fois espagnols et arabes. Tout y
est polymorphe et la culture chrétienne s’est superposée à la culture arabe
sans la détruire ni l’absorber et le monument est une mémoire de cette
brillante civilisation et de cette époque révolue.
è
tous les écrivains s’attachent à décrire des villes exceptionnelles qui les
fascinent, dont Séville, Cordoue mais surtout Grenade. Grenade est pour eux la
ville emblématique de l’époque de coexistence entre les trois cultures en Espagne
car aussi était la capitale du dernier royaume maure.
à
la nature y est luxuriante et tout semble magnifique, dans un climat privilégié
où la nature s’épanouit à Grenade pour Chat. :
« Cette plaine que domine Grenade est couverte de
vignes, de grenadiers, de figues, de mûriers, d’orangers ; elle est
entourée par des montagnes d’une forme et d’une couleur admirables. Un ciel
enchanté, un air pur et délicieux, portent dans l’âme une langueur secrète dont
le voyageur qui ne fait que passer a même de la peine à se défendre »
-
A Séville pour Gautier ou à Grenade :
« Des bassins aux flots diaphanes »
du Généralife
« Les orangers vermeils et les frais
lauriers-roses » de Séville.
« Le laurier du
Généralife ».
è Au sein de cet Eden naturel, les arabo-musulmans ont
laissé partout leur trace et celle de leur brillante civilisation en
particulier dans l’architecture. Tous sont frappés par la coexistence de
monuments d’origines différentes qui coexistent dans un même lieu. Cette
coexistence de plusieurs cultures notamment dans architecture fascine :
à pour Chat. :
« C’est sur les lieux mêmes
que j’ai pris, pour ainsi dire, les vues de Grenade, de l’Alhambra, et de cette
mosquée transformée en église, qui n’est autre chose que la cathédrale de
Cordoue. »
à
pour Gautier dans « Perspective » :
« Sur le Guadalquivir, en
sortant de Séville,
Quand l'oeil à l'horizon se
tourne avec regret,
Les dômes, les clochers font
comme une forêt :
A chaque tour de roue il surgit
une aiguille.
D'abord la Giralda, dont l'angle
d'or scintille,
Rose dans le ciel bleu darde
son minaret ;
La cathédrale énorme à son tour
apparaît
Par-dessus les maisons, qui vont à sa cheville. »
à pour Hugo dans « Grenade » :
« Alicante aux clochers mêle
les minarets ;
Compostelle a son saint ;
Cordoue aux maisons vieilles
A sa mosquée où l'oeil se perd
dans les merveilles ;
[…]
Tolède a l'alcazar maure,
Séville a la giralda.
[…]
Toutes ces villes d'Espagne
S'épandent dans la campagne
Ou hérissent la Sierra ;
[…]
Toutes sur leurs cathédrales
Ont des clochers en spirales ;
Mais Grenade a l'Alhambra. »
èLa
fascination toute particulière pour Grenade : ville emblématique de la
convivance des trois cultures et en cela symbole du syncrétisme à
représente union parfaite de civilisations différentes et les lieux en
témoignent
è
la description des monuments transcrit par ailleurs l’admiration des poètes
pour la beauté, la finesse de l’art des Maures d’Espagne comme le nomme Chat.
« l’élégant génie des Maures ». Les monuments les plus emblématiques
de la grandeur de cet art sont à Grenade mais aussi à Cordoue : ce sont
l’Alhambra, le Généralife, et la grande Mosquée.
à
On note à ce propos une forte intertextualité entre Hugo et Chateaubriand en ce
qui concerne les descriptions de l’Alhambra et du Généralife :
-Chat. :
« Ses blancs rayons
dessinaient sur le gazon des parterres, sur les murs des salles, la dentelle
d’un architecture aérienne, les cintres des cloîtres, l’ombre mobile des eaux
jaillissantes, et celle des arbustes balancés par le zéphyr. »
-Hugo :
« L'Alhambra ! L'Alhambra
! Palais que les Génies
Ont doré comme un rêve et
rempli d'harmonies ;
Forteresse aux créneaux
festonnés et croulants,
Où l'on entend la nuit de
magiques syllabes,
Quand la lune, à travers les
mille arceaux arabes,
Sème les murs de trèfles blancs
! »
è
mais aussi mm description enchantée chez Gautier :
« Je passais du Généralife
A l’Alhambra peint et doré !
[…]
Riant Alhambra, Tours
Vermeilles,
Frais jardins remplis de merveilles […] »
è
importance de ces lieux merveilleux, symboles d’une union parfaite entre les
cultures et de la richesse de la civilisation arabe, mais richesse perdue.
àL’importance
des lieux : peinture de lieux évocateurs qui symbolisent cette union
parfaite et ce syncrétisme culturel et religieux.
B) La création littéraire du mythe : un paradis perdu
1)
La fascination pour l’Orient espagnol
è
Comme avec exemple art des Maures, ce qui fascine dans l’Espagne des Trois Cultures,
c’est son caractère oriental è
c’est l’Orient en Occident et en mme temps c la coexistence de l’Orient et de
l’Occident au sein d’un mm ensemble politique
è
c’est donc avant tout l’Orient arabo-musulman qui intéresse les écrivains
à
Hugo le dit lui-même dans sa préface : L'Espagne est en effet le seul pays
« oriental » selon ses critères qu'il n’ ait jamais visité.
« Certes, ce n'est pas l'auteur de ce livre qui
réalisera jamais un ensemble d'œuvres auquel puisse s'appliquer la comparaison
qu'il a cru pouvoir hasarder. Toutefois, sans espérer que l'on trouve dans ce
qu'il a déjà bâti même quelque ébauche informe des monuments qu'il vient
d'indiquer, soit la cathédrale gothique, soit le théâtre, soit encore le hideux
gibet; si on lui demandait ce qu'il a voulu faire ici, il dirait que c'est la
mosquée. […] l'Espagne c'est encore l'Orient ; l'Espagne est à
demi africaine… »
è
donc fascinés par les apports de la culture arabo-musulmane en Espagne et qui
entraîne ce fabuleux mélange en Andalousie en particulier
à
Hugo, en proie à rêve d'union des contraires et Espagne est une bulle, est une
figuration de la sphère idéale où les oppositions se résolvent, celle de
l'Orient et de l'Occident notamment.
è
cette fascination pour la civilisation arabe touche aussi Chateaubriand comme
le montre la description des lieux et lui aussi rêve union parfaite, il rêve
amitié possible malgré peuple et religion, et culture, rêve amour possible
entre chrétienne et musulman mm si ces espoirs sont déçus et demeure utopie
dans son ouvrage
è
Quant à Gautier, il admire les apports de civilisation musulmane mais idéalise
un peu moins cette Espagne orientale mm s’il est lui aussi fasciné suffit lire
« Perspective » ou « Le Laurier du Généralife » pour s’en
convaincre s’il faut.
2)
Mythification de la civilisation
arabo-musulmane : entre raffinement, richesse et courtoisie : page
47, 70, 83
è
on a donc chez ces trois auteurs mais tout particulièrement chez Hugo et
Chateaubriand, une véritable mythification de l’Espagne d’Al-Andalus comme
accomplissement d’un syncrétisme parfait mais aussi avec mythification de la
civilisation arabo-musulmane :
-
raffinement de son art : chez les trois
auteurs
-
raffinement de ses manières si l’on prend
Aben-Hamet
-
brillante maîtrise des arts et des
sciences : Aben-Hamet se fait passer pour un botaniste venu herboriser, il
chante des romances, récite des poèmes, utilise un langage imagé. Il est
incarnation de la galanterie et de l’amour courtois, il a qualité de courage,
de générosité …
« “A quelle marque puis-je
vous reconnaître pour le dernier Abencérage ?” […]
- “A ma conduite”, répondit
Aben-Hamet. »
3)
Une nostalgie qui imprègne toutes les
œuvres : le paradis perdu
è
tous regrettent une sorte d’âge d’or définitivement évaporé
èLa
réalisation littéraire du mythe de l’Espagne des Trois Cultures : l’idéal
de syncrétisme
èLa
mythification d’une Espagne orientale qui semble à jamais perdu : l’Age
d’Or