(sous titre : Les écrivains français du XIXème
siècle et le voyage en Espagne)
«
Chaque homme a une patrie d’adoption, un
pays rêvé où, même avant de l’avoir vu, sa fantaisie se promène de préférence,
où il bâtit des châteaux imaginaires qu’il peuple de figures à sa guise; nous
c’est en Espagne que nous avons toujours élevé ces châteaux fantastiques
». (Théophile
Gautier, Quand on voyage, Michel-Lévy, Paris, 1865, p. 245)
Les romantiques français firent de l’Espagne,
et surtout de l’Andalousie, une destination touristique exotique, une
expérience de dépaysement, et de pittoresque. Ils élaborèrent une image fascinante
de l’Espagne, une Espagne plus mythique que réelle, mirage qui aimanta toute la
jeunesse du XIXème.
Les éclaireurs de ce phénomène
collectif :
Théophile Gautier, Prosper Mérimée, Alexandre
Dumas créèrent un modèle de pérégrination hispanique, et surtout andalouse. Ce
modèle fut repris au pied de la lettre et conduisit invariablement la
foule des épigones vers Grenade, Cordoue et Séville. Cela se fit souvent au
détriment d’autres localités dédaignées comme secondaires car dépourvues de
l’anoblissement par le regard des grands maîtres-à-voyager romantiques !
Il faudrait lire avant de partir le très beau Tras los montes
de Théophile Gautier (devenu Le Voyage en Espagne , 1843), et lire aussi
d’Alexandre Dumas, les Impressions de voyage : De Paris à Cadix (1847).
Sans oublier les Lettres d’Espagne
(1832) de Prosper Mérimée.
Aux origines de ce phénomène collectif :
une vague de visiteurs forcés !
Un tourisme spécial, militaire, un peu forcé,
précéda l’engouement romantique et le prépara. La campagne napoléonienne de
1808-1810 en Espagne produisit des témoignages émerveillés de la part des
militaires… Leurs mémoires de guerre eurent beaucoup de succès… N’oublions pas
que le père de Victor Hugo participa aussi à cette campagne, et y emmena sa
famille...
L’échec du rêve napoléonien est ensuite
sans doute pour beaucoup dans ce rêve de « construire des châteaux en Espagne »
pour compenser la déception et la frustration devant une monarchie restaurée.
Il faudrait relire quelques pages de La
Confession d’un enfant du siècle de Musset pour plonger dans le
désenchantement qui sert de base à ce si fort désir d’Espagne. Celle-ci apparaissait
comme l’opposée de la société française bourgeoise contre laquelle toute une
jeunesse romantique se révoltait. Le sentiment d’étouffer dans Paris faisait
que le voyage en Espagne était devenu une sorte d’urgence.
La couleur locale :
Louis Viardot, dans ses Souvenirs de chasse (1823) lance la mode du voyage en Espagne à la
recherche de la fameuse « couleur locale ». Il entérine aussi l’image
langoureuse de femmes espagnoles qui semblent sortir des contes des Mille et une nuits. Le lien est
ainsi noué avec l’orientalisme qui fait
fureur à la même époque. Une autre variante de la femme espagnole, une
Sévillane, Carmen (Mérimée, 1845), nourrira un autre mythe, mais tout aussi
imprégné de cette couleur locale si chère aux romantiques.
Les lieux communs : un pays qui se doit
d’être exotique et arriéré…
L’observation directe, la découverte
personnelle et originale, tout au long du XIXème, semblent de peu de poids par
rapport aux clichés et lieux communs qui conditionnent le regard des voyageurs…
Plus le siècle avance et plus les évocations des villes et des
paysages andalous se répondent en écho dans le récit des visiteurs. Les aprioris
établis vont se maintenir, écartant l’observation directe. Itinéraires et idées
reçues se conserveront même avec le développement de nouveaux moyens de voyage,
le chemin de fer notamment : Séville et sa rue Sierpes, Grenade avec l’Alhambra et le Sacromonte, Cordoue et sa mosquée sont les leitmotive qui
reviennent sous la plume des visiteurs, les cactus et les aloés sont
omniprésents, et le poncif du caractère africain du sud de l’Espagne s’impose.
Le voyageur se livre au plaisir du déjà su –déjà lu qui s’affirme plus
fortement que la réalité même… Mais pas
toujours, et le regard s’assombrit quand la « réalité » recherchée ne
se montre pas, quand elle ne se prête pas comme support commode à la projection
des images fantasmées et ressassées collectivement depuis le début du siècle...
Une rencontre manquée ?
L’espagnolisme romantique
français est critiqué, notamment par les Espagnols, pour sa recherche du
clinquant, masquant les réalités profondes du pays. L’agacement ne se dissimule
pas outre-Pyrénées devant une image
du psychisme espagnol, image fortement stéréotypée que les
romantiques français ont contribué à figer en une mythologie de carte
postale : mari jaloux, hidalgo superbe et vaniteux, gueux non moins orgueilleux, paresse, apathie
ou “gravité” castillanes !